dimanche 21 avril 2019

La Montre (1.23)

Pas un seul de ces passants pour réellement et pleinement et totalement et complètement s'étonner, pour ouvrir d'immenses yeux ronds expulsés de leurs orbites, pour, violemment, dans un sonore claquement, se taper le front ou la joue du plat de la main, pour aller se cogner, se frapper la tête contre les murs, pour s'arracher les cheveux, pour s'effondrer, s'évanouir, défaillir, perdre connaissance, pour jusqu'au sol se décrocher la mâchoire, pour fondre en larmes, pour crier, hurler, beugler, pour s'avaler la langue et s'étrangler de leurs propres mains, non, aucune crise de nerfs, crise d'hébétude, crise d'épilepsie, aucune prostration, convulsion... Si plus personne n'est pleinement et proprement et réellement et totalement et complètement surpris et choqué par un tel spectacle - un homme qui parle, prie, insulte, consulte, informe, interagit avec une statue, en pleine rue - si un tel spectacle, en pleine rue, fait désormais partie du quotidien, du train-train, du tiède, du fade, du sans-sel, sans-sucre et sans édulcorant, du tout-juste-risible, du prête-à-sourire, du tiens-j'ai-vu-un-truc-rigolo-tantôt, c'est bien là la preuve que la folie se répand, véritable épidémie, véritable fléau. Tous ces passants qui ne savent plus discerner l'étonnant et le choquant et le bouleversant de ce qui ne l'est pas, qui ne savent plus réagir promptement et adéquatement à l'étonnant et au choquant et au bouleversant, oui, tous ces passants, si j'en avais eu le pouvoir et la capacité, je leur aurais passé la camisole...

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