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lundi 17 août 2020

En Retard (79)

La secrétaire ouvre la porte du cabinet. Entre. Je la suis. De près. De trop près. Le comptoir de l’accueil se dresse à point nommé pour nous séparer.

Excusez-moi, j’ose, c’est que je suis déjà en retard. Très en retard. J’ai horreur de ça, être en retard.
Comment pouvez-vous être en retard ? Le cabinet n’est même pas encore ouvert. Le premier rendez-vous n’est que dans 20 minutes.
En retard, je vous dis que je suis en retard. Ce n’est tout de même pas pour rien que je cours à travers Paris depuis deux jours. Mais avec le métro, les émeutes, les vélibs inutilisables, les iconoclastes, les gaz hilarants ou lacrymogènes, les manifestations, les matches de polo, les violences policières, les fantômes des stations, la pollution fluviale, les violences sexuelles, les états d’ivresse, l’illisibilité des plans, les lourdeurs et les errances de l’auteur... j’ai fait comme j’ai pu, je suis venu aussi vite que possible...
Deux jours... elle lève les yeux au ciel. Votre nom ?
Maurice.
C’est votre nom ou votre prénom, Maurice ?
Les deux.
Vous vous appelez Maurice Maurice ?
Je me contente de hausser les épaules. J’en ai assez de me répéter.
Je n’ai pas de rendez-vous noté sur l’agenda au nom de Maurice. Ni aujourd’hui ni hier ni il y a deux jours. Êtes vous sûr d’avoir rendez-vous ?
Je tape du pied pour marquer mon impatience.
Je vais regarder sur l’ordinateur.
C’est cela, faites. Regardez sur votre ordinateur.
Elle allume l’ordinateur. Évite ostensiblement de croiser mon regard pendant le lent démarrage de Windows - ils n’ont qu’à passer au Mac. Ou à Linux qu’il ne faut - paraît-il - pas éteindre. Enfin, après quelques longues minutes, elle se met à cliquer et à taper... Semble enfin trouver l’information.
Mais Monsieur Maurice, c’était il y a 3 semaines que vous aviez rendez-vous... Et vous n’êtes pas venu...
Puisque je vous ai dit que je suis en retard... TRÈS en retard...



Et pour finir, nous sommes en avance : publication à 16h16

dimanche 16 août 2020

En Retard (78)

Je me glisse dans l’ouverture de la porte battante derrière la secrétaire. Frôle son postérieur au passage. Je devine le regard glaçant qu’elle jette dans mon dos (je ne me retourne pas). L’ascenseur est stationné au rez-de-chaussée. Je ne peux l’utiliser. Jamais la machinerie ne démarrera assez rapidement pour empêcher la secrétaire de me rejoindre dans la cabine. Je me jette à souffle perdu dans les escaliers. Sept étages à monter.
À chaque palier, je prends soin de presser le bouton appelant l’ascenseur. Voilà qui ralentira, de quelques secondes à chaque étape, la montée de la secrétaire vers le cabinet. Je vérifie également au passage que les portes ouvrant sur la cage sont correctement fermées. En ouvrir une me permettrait de bloquer totalement l’ascenseur et la secrétaire. Je pourrais alors monter tranquillement les marches, une à une, lentement. Et non trois à trois comme c’est le cas présentement. Jamais il ne me viendrait à l’esprit de les gravir deux à deux ou quatre à quatre. Je déteste les nombres pairs et les nombres non premiers - il parait qu’on les appelle nombres composés, ces nombres non premiers. Quant à les gravir cinq à cinq, c’est au-delà de mes capacités physiques, je n’ai ni l’allonge ni la souplesse ni la détente nécessaires... Malheureusement, il faut que je tombe sur le seul ascenseur de Paris aux normes, toutes les portes sont correctement verrouillées.

J’arrive au septième étage le premier. Je sonne. Sonne de nouveau. Une troisième fois. Teste la poignée de la porte. Tape du plat de la main sur le panneau de bois. Puis des coups de pied. L’ascenseur arrive après 90 secondes de tambourinage au septième étage. La secrétaire en sort. Ne dit rien. Se contente d’un regard noir dont je croyais ma bien aimée seule capable. Dont ma bien aimée est la seule autorisée à me jeter.
Dépêchons, dépêchons. Plus vite. J’ai promis de terminer aujourd’hui. Je vais encore être en retard.
Êtes-vous sûr de vouloir finir dans le 78 ?
Voilà un dilemme que je n’iniort pas.

Pour célébrer ce jeu de mot en direct des deux chèvres, je ne publie aujourd’hui qu’à 18h18... très en retard.

samedi 15 août 2020

En Retard (77)

Je suis réveillé par le jet d’eau d’un agent de propreté urbaine. Voilà qui règle en même temps le problème de la douche. Déjà que je suis en retard, très en retard, il ne faudrait pas en plus que je ne sois pas présentable. Pas propre.
L’ombre projetée par mon cadran solaire corporel - oui, il s’agit bien d’une allusion graveleuse - m’indique qu’il est encore tôt, que j’ai le temps, que le cabinet n’est certainement pas encore ouvert. Mes connaissances en gnomonique sont cependant fragiles : la trigonométrie n’a jamais été mon fort et j’ai, de plus, les sinus un peu enflammés - après un aussi pitoyable calembour mathématique, ma précédente plaisanterie à propos de ma Morning Glory passera bien mieux. Je ne prends pas de risque : le temps de me secouer les puces, je me mets en chemin quasi immédiatement - je n’ai pas grande distance à parcourir.

Et je fais bien de ne pas traîner. Alors que j’approche de la porte d’entrée de l’immeuble, je reconnais, composant le code qui en permettra l’ouverture, la secrétaire du cabinet. Je n’ai encore jamais vu cette secrétaire. Jamais rencontré. Il faut dire que je ne suis encore jamais venu au cabinet.  Je ne l’ai eu qu’au téléphone, la secrétaire. Une fois, une seule. Pour prendre rendez-vous. Ce chignon, serré, haut sur tête, cependant, ne trompe pas. C’est le chignon de cette voix que je ne suis pas prêt d’oublier. Une voix haut perchée. Une intonation sèche. Un débit de machine à coudre.
Il faut absolument que j’arrive avant elle au cabinet. Être moins en retard. Un peu moins en retard.


dimanche 9 août 2020

En Retard (76)

Chacun se confine... chacun s’isole et se planque et évite les autres... chacun se cache... obéit aux ordres donnés pour la santé et la sécurité de tous... Chacun sauf moi, bien entendu. Non, moi, je profite de la confusion, de la panique, pour m’éclipser - tout en laissant sur le bureau de Childéric 35 euros avec un petit mot Gardez la monnaie : je n’ai aucune envie qu’on continue à me poursuivre pour une simple histoire de chemisette polo.

Je sors du commissariat. La nuit est proche de tomber. Je n’ai que trois cent mètres à franchir pour parvenir à destination. Il est tard cependant, bien trop tard. J’avalerai ces trois cents mètres demain matin, pour le petit déjeuner. En attendant, pour ne pas revenir en arrière - je suis déjà bien assez en retard - je me cherche un endroit pas trop inconfortable où dormir. Histoire de reprendre des forces et un peu d’inspiration - En Retard en manque grandement en ce moment, non ? un peu de lassitude s’est installée chez l’auteur - avant les deux derniers (a priori) numéros.

samedi 8 août 2020

En Retard (75)

IL N’A PAS ÉTERNUÉ DANS SON COUDE !!! IL N’A PAS ÉTERNUÉ DANS SON COUDE !!!

Une poulette - je veux dire un poulet femelle, de genre féminin, une keufette si vous préférez - presse violemment un bouton semblable à ceux qui déclenchent l’alarme incendie. Une sonnerie composée de quatre notes - sonnerie qui ressemble étrangement au jingle de la SNCF - retentit dans la volaillère. Sept fois. Suivie d’un message préenregistré.
Alerte Confinement. Alerte Confinement. Éloignez-vous les uns des autres. Respectez les distances de sécurité asociale. Enfilez votre masque. Cherchez un endroit où vous isolez après nettoyage minutieux au gel hydroalcoolique. Alerte Confinement. Alerte Confinement.
Des masques FFP2 tombent littéralement du plafond, comme le feraient des masques à oxygène du plafond d’un avion sur le point de décrocher. Tous les présents, policiers, victimes, témoins et présumés innocents derrière les barreaux, en enfilent un, prenant garde de bien protéger nez et bouche. Quelques secondes s’écoulent avant que ce que je prenais pour des extincteurs automatiques ne brumisent du gel hydroalcoolique dans toute la pièce. Comme dans une vieille publicité télévisée pour des gels douche, chacun se retrouve nu (exception faite des masques) à se frotter le moindre centimètre carré de peau avec le liquide qui pleut. Et chacun, une fois qu’il se sent bien aseptisé, gagne un placard dans lequel il s’enferme ou se plie en quatre sous un bureau. En attente de l’ordre autorisant le déconfinement.

dimanche 2 août 2020

En Retard (74)

J’ouvre le paquet. Une odeur désagréable, difficilement descriptible, piquante et lourde à la fois, s’en échappe. Un subtil assemblage d’encens, de vétiver, de cardamome, de vase et d’isonitrile me chatouille le tarin que je crains de perdre sur-le-champ. Childéric est proche de vomir et passe au vert - il n’avait de toute façon pas son gyrophare - Outrille éclipse sa lune discrètement direction les vécés. Pour ma part, je tente de faire bonne figure, bon pied et bon œil, droit comme un i tréma sur ma chaise que j’aimerais percée - je crois, dans mon récit qui s’étale désormais sur quelque chose comme 36 heures, ne pas avoir encore contribué à l’eutrophisation des milieux aquatiques locaux.

Étrangement, contrairement à mes interlocuteurs volaillers, je n’ai pas l’estomac retourné : c’est, chez moi, comme je viens de le dire, au niveau nasal que ça se passe. Ça me démange, ça me gratte, ça me brûle, ça me picote... et je finis par éternuer, plié en deux, le buste projeté en avant par la soudaine éjection de mucus.
Stupeur dans la batterie. Tout le monde se fige. Les doigts cessent de s’agiter sur les claviers. Les conversations et interrogatoires s’interrompent au milieu de phrases qui ne prennent pas la peine d’attendre l’intervention des points de suspension. Dans les cellules, les putes cessent de tourner en rond et de bruyamment mastiquer leur chewing-gum, les poivrots dégrisent en un clin d’œil. Les beignets et croissants se rassoient instantanément. Seul son encore perceptible dans l’immense open space : celui des cafés qui se répandent au sol en un plic ploc caractéristique.
Le temps est comme suspendu pendant quelques secondes - ce qui ne signifie strictement rien puisqu’il n’est plus question de secondes si le temps est suspendu - jusqu’à ce que je me redresse et que je contemple toute cette population carcérale - amphitryons et commensaux réunis - autour de moi qui n’ose plus bouger d’un cil. Alors, s’élève peu à peu une rumeur. Le volume sonore augmente en un lent crescendo. Les langues se délient et se répondent, toutes se répètent comme un mantra cette même consternation : IL N’A PAS ÉTERNUÉ DANS SON COUDE !!! IL N’A PAS ÉTERNUÉ DANS SON COUDE !!!

samedi 1 août 2020

En Retard (73)

Si je plaide coupable, que j’admets avoir balancé mon POLO (NDA : et non ma chemisette) dans le plus beau fleuve du monde, pourrais-je le récupérer, mon polo ?
Ce n’est pas la procédure, désolé.
Et un mec torse-poil dans vos locaux avec un pantalon dégueulasse, un doigt arraché et un orteil amputé de manière artisanale, c’est la procédure ? Je vais porter plainte pour violences policières...
Nous ne sommes pour rien dans l’état dans lequel vous vous trouvez, Mr. Maurice, prénom Maurice, vous le savez bien...
Certes, mais les journaux ne le savent pas...
On se moque des journaux. Personne ne lit les journaux. Les gens regardent Jean-Pierre Pernaut... et on a son total soutien, à Jean-Pierre. Inconditionnel. Un vrai amoureux des forces de l’ordre, JPP. Il écoutera notre version, uniquement notre version. Un excellent journaliste, Pernaut.
Sur Twitter, alors... je vous y traiterai de raciste, de misogyne, d’islamophobe et d’agélaste... ça va vite monter, vous allez être annulé...
Vous êtes blanc, vous êtes un homme, le témoignage de votre voisine, Mme Suzanne Maupu dite Gigi nous assure que vous n’êtes pas circoncis et, personnellement, j’ai fait l’effort de rire à vos blagues pas si bonnes...
De tout cela, la Twittosphère s’en moque. C’est tel que je me déclare qui fait mon identité sur les réseaux sociaux, pas les cases dans lesquelles vous me collez selon mon apparence. Fasciste...
Ok, ok... Et si je vous rends votre foutu polo, vous arrêtez de me faire chier ?
(Il me lance la poche plastique dans lequel se trouve mon polo)
Merci... Désolé pour le chantage... c’est pas dans mes habitudes... mais je suis déjà en retard, très en retard, je vais pas en plus me pointer complètement débraillé... il faut au moins que je porte quelque chose en haut...
Faudra tout de même payer l’amende... 30 euros 48...

dimanche 26 juillet 2020

En Retard (72)

Voici donc résolue l’affaire de la chemisette jaune... C’est maintenant que je découvre que cette chemisette que j’ai jetée à la baille dans un ancien numéro de En Retard était un polo. Je t’ai fait croire, cher lecteur, il y a bien longtemps, que je ne me rendrai jamais compte que cette absurde chemisette - pourquoi me serais-je acheté une chemisette ? je hais les chemisettes, encore plus si elles sont portées avec une cravate, presque autant que je hais les chaussures sans lacet - abandonnée au fleuve est un polo. Et tu m’as cru. Tu l’as accepté. Tu m’as regardé traverser Paris torse-poil puis vêtu d’un sac poubelle puis avec un gilet de sécurité fluo. Sans t’étonner. Tout ceci n’était destiné qu’à détourner ton attention de cette affaire de polo et de chemisette. Tout était prévu depuis le début. Je me suis joué de toi. J’ai bien ri. Content de t’avoir si bien manipulé.

Oui, j’ai bien ri... et, à présent, la nostalgie me rattrape. Maintenant que le principal suspens de ce « texte » - me rendrai-je compte que ma chemisette était en réalité un polo ? - est éventé, il ne me reste plus qu’à achever ce feuilleton. Le plus vite sera le mieux. Voilà, c’est (bientôt) fini.

samedi 25 juillet 2020

En Retard (71)

Monsieur Maurice, prénom Maurice... ça n’a pas dû être facile tous les jours à l’école, un nom pareil...
Ça n’a pas dû être facile pour vous non plus vu que vous avez fini flic...

Grand éclat de rire... il y a donc des policiers qui ont de l’humour.

Plus sérieusement, Mr. Maurice, vous êtes accusés de pollution séquanienne.
Pollution séquanienne ?
Séquanienne, c’est l’adjectif pour la Seine, le fleuve.
Non, ça, l’étymologie, ok, c’est l’accusation de pollution qui m’interpelle.
La Seine fait l’objet d’une surveillance particulière. Notre objectif, c’est le retour des baigneurs pour 2024. Tout doit être nickel chrome.
Le nickel et le chrome sont des polluants. Quand, comment, où suis-je accusé d’avoir pollué la Seine ? Si c’est pour la fois où j’ai pissé dedans du côté du plateau de Langres, il y a prescription, non ? Et ça compte pas, j’étais bourré au Gevrey Chambertin.

Nouvel éclat de rire... je n’aime pas les gens qui sont trop bon public, ils ne sont pas honnêtes. Je m’attends à tout moment à sentir un piège se refermer sur moi.

Mr. Maurice, nous avons repêché, ceci, hier soir, du côté du Bassin de l’Arsenal...

Il me présente une de ces poches de plastique qui servent à conserver les pièces à conviction. À l’intérieur de la poche, un polo jaune qui, visiblement, a pris un bain d’eau sale.

dimanche 19 juillet 2020

En Retard (70)

Il en met un temps, le fameux Childéric... on continue d’attendre...

On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On... (Pardon, dans mon impatience, j’en ai mis un en trop...)


Il finit par arriver. Échange a priori hilarant entre Outrille et Childé’ - je ne peux en juger, d’où je suis, je n’entends rien de ce qu’ils se disent : dommage j’aurais bien aimé participer à ce moment de convivialité... Puis, Child’ s’approche de moi, me regarde longuement, comme s’il voulait lire je ne sais quoi sur mon visage, finit par s’asseoir au bureau d’Austrégésile qui reste debout derrière moi.

Vous êtes Maurice L. Maurice ?
Ça dépend qui le demande...
Je vois... on est tombé sur un comique...
Désolé, j’ai entendu ça dans un... non, dans plusieurs films... j’ai toujours eu envie de le placer. Oui, Maurice, c’est moi, nom et prénom, prénom et nom avec un L et un point au milieu...
Vous habitez chez votre mère ?
Euh... (une bonne façon d’indiquer que sa question me surprend)
C’est une question simple, non ? Qui vous coud une étiquette avec votre nom sur vos vêtements ? C’est un truc de mère, ça non ? Avant de partir en colonie de vacances et tout ça...
Comment savez-vous que mes vêtements ont une étiquette avec mon nom ?
Ça, c’est justement ce pourquoi vous êtes là...

samedi 18 juillet 2020

En Retard (69)

Nous attendons donc Childéric, représentant du Service des Crimes Environnementaux... qui ne semble pas pressé d’arriver... ou qui vient de loin... de l’autre bout de Paris... ou du fin fond de la banlieue... qui sait où on les a installés ces policiers de l’écologie ?

On s’ennuie un peu, Austrégésile et moi. Il tapote des doigts sur son bureau. Je regarde ses doigts qu’il tapote sur son bureau. Il me regarde regarder ses doigts qu’il tapote sur son bureau. Quelque chose comme une fraternité dans l’ennui semble s’installer entre nous. Une solidarité qu’inintentionnellement je brise en tentant d’adapter une plaisanterie entendue dans Philadelphia, film dont on m’avait dit le plus grand bien et que j’ai vu pour la première fois il y a quelques jours et qui me semble légèrement sur-côté (comme tous les films avec l’affreux Tom Hanks, non ?), plus important du point de vue historique (premier film à parler ouvertement des droits des malades du SIDA) que cinématographique (un film de tribunal finalement assez plan-plan, bien loin de l’intensité du Douzième Homme, premier exemple qui me vient à l’esprit).

Comment appelle-t-on cents flics enchainés au fond de la Seine ?

Pour toute réponse, Outrille m’adresse un grommellement mi-réprobateur, mi-impatient de savoir où je veux en venir...

Un bon début... ha ha ha hi hi hi ho ho ho (rires)

Outrille n’a visiblement que peu d’humour... j’ai jeté un froid... il va falloir patienter dans le silence. On attend...


On attend...

On attend...
On attend...

On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On attend... On...


dimanche 12 juillet 2020

En Retard (68)

Alors, dites-moi... je n’en peux plus, on n’en peut plus... le suspense a assez duré... pourquoi suis-je dans vos fichiers ? suis-je recherché ? pour quelle raison ou quelles raisons ? (Nuance entre le pluriel et le singulier qui passe assez mal à l’oral, il faudrait que je fasse davantage attention à ce genre de détails quand j’écris un dialogue)
On va attendre mes collègues du service des crimes environnementaux... je vais les appeler pour leur dire que vous êtes dans nos locaux. (Il décroche le combiné de son téléphone, compose un numéro à 5 chiffres)
Les crimes environne... (il me fait signe de me taire, l’index levé tout en tournant la tête pour ne plus me faire face - je m’exécute).
Chut... silence... je vous prie, je téléphone... (Il tapote du doigt sur le bureau en attendant que l’on réponde, à l’autre bout du fil - expression idiomatique en grand danger d’extinction maintenant que plus aucun téléphone n’en a, de fil. Enfin, on répond) Allo, Childéric ? (Le prénom a été modifié pour garantir l’anonymat et la tranquillité des policiers impliqués dans cette affaire) Ouais, c’est Austrégésile (Le prénom a été modifié pour garantir l’anonymat et la tranquillité des  policiers impliqués dans cette affaire), comment vas-tu, salaud d’hippie végétarien ? Pas trop chiant la vie aux crimes environnementaux ? Tu te fais plaisir avec les barbecues de tofu et la bière bio sans alcool ? Ah ah ah (rire gras) enfoiré d’hippie végétarien... (une partie de conversation que je ne comprends pas bien suit, ponctuée de nombreux éclats de rire ; au bout de dix ou onze ou douze minutes, Outrille se retourne vers moi, cesse de rire, me regarde d’un air méchant) Bon, plus sérieusement, j’ai devant moi un certain Maurice L. Maurice... ça t’intéresse, non ? ... hein hein... hum hum... hein hein... hein hein... hein hein... hum hum... (marquer une bonne quinzaine de secondes entre chaque doublé de hein ou de hum) Ok, on t’attend... (il raccroche - il me regarde d’un air moqueur) Ils arrivent... on va les attendre.
Les crimes environnementaux, ça existe ça, comme service de police ?
Oui, c’est nouveau, la vague verte aux élections, ça vous dit rien ? vous lisez pas les journaux ?
La vague verte aux élections ? Aux municipales ? Mais... mais... c’est tout récent... c’est totalement contraire à l’esprit d’En Retard d’en parler déjà... dans En Retard, on peut parler de l’actualité... mais de l’actualité pas récente... les Gilets Jaunes qui cassent tout à l’Arc de Triomphe, le mouvement MeToo, tout ça, j’en ai parlé plus d’un an après... là, les municipales, ça date de deux semaines à peine... c’est pas normal... on doit pas en parler si tôt...
Faut croire que votre texte vous échappe, Monsieur l’Écrivain...
Et ils veulent me voir pour quoi, ces services des crimes environnementaux ?
On garde ça pour une prochaine fois, c’est assez long pour aujourd’hui...
On a déjà fait le coup hier...
Ce serait la première fois que votre texte ne tient pas ses promesses ?
Certes non, les lecteurs sont habitués...

samedi 11 juillet 2020

En Retard (67)

Ma profession ? Vous en avez de bonnes... une profession... euh... écrivain ? Ça vous irait, écrivain ? C’est ça, disons que je suis écrivain.
(En aparté, mais suffisamment fort pour que je l’entende) Écrivain... manquait plus que ça... encore un qui vit des alloc’... (s’adressant directement à moi, cette fois) et, par curiosité, vous avez écrit quoi ?
Des textes que personne n’a lus. D’ailleurs, ils n’ont pas été publiés, mes textes. Donc, vous donnez les titres ne servirait à rien.
Pourtant vous prétendez quand même que votre profession, c’est écrivain...
Oui, puisque j’écris... tous les jours... plusieurs heures... ça demande de la rigueur... et de l’organisation... je m’impose des horaires fixes, des objectifs en quantité et en qualité... je tiens compte de ce que produit la concurrence - ça s’appelle lire... c’est une activité à plein temps qui répond à tous les codes de la vie de bureau... une profession, donc.
Ok, ok... et vous écrivez quoi en ce moment ? si c’est pas indiscret...
Ça l’est un peu mais bon... En ce moment, j’écris un recueil de poésie sans utiliser ni stylo ni crayon ni ordinateur ni machine à écrire, uniquement du Tipp-Ex, c’est assez expérimental, impubliable, illisible, vous voyez le genre...  je peux pas vous en dire plus, c’est un projet un peu secret, j’attends que ce soit bien avancé pour en parler... et sinon, en ce moment j’écris un texte appelé En Retard... ça me fait penser, d’ailleurs que je le suis, en retard, très en retard... si on pouvait faire la paperasse un peu plus vite ça m’arrangerait...
Monsieur est pressé en plus ? Pas de bol, j’ai tout mon temps, moi... On va donc reprendre depuis le début... (petite pause) Nom, prénom ?
Maurice L. Maurice.
(Il commence à taper sur son clavier, avec les deux index uniquement, le nez collé aux touches, se redresse au bout de quatre ou cinq lettres) Il veut dire quoi ce L. ?
Je ne peux pas vous le dire, désolé, c’est le sujet d’un de mes textes, qui s’appelle Pseudo. C’est une information que je réserve à mes lecteurs.
Un texte que vous avez écrit ?
Pas vraiment... Pseudo, c’est un texte que j’avais en tête. Il était achevé, fini, complet... dans mon esprit. Du coup, j’ai pas pris de notes. Et puis, j’ai travaillé à d’autres choses, d’autres textes et... je l’ai oublié. C’est un texte perdu. Donc je vais écrire, quand j’aurai le temps, un autre texte qui s’appellera Pseudo et qui sera une sorte d’enquête sur ce premier texte qui s’intitulait Pseudo.
Ça a l’air... (longue pause)
Intéressant ? Intriguant ? Déconcertant ? Inattendu ?
J’allais dire « chiant »... mais c’est vous l’écrivain, vous avez plus de vocabulaire que moi, vous connaissez plus de synonymes... Bref, nous disions Maurice L. Maurice. (Il se remet à taper, dans la même position et sur le même rythme que précédemment. Regarde longuement son écran après avoir fini d’écrire mon nom. Se tourne vers moi. Sourire ironique.) Tiens, tiens... vous n’êtes pas inconnu de nos services, à ce que je vois...
Pardon ? Comment ça ? Que voulez-vous dire ?
On va garder ça pour l’épisode de demain, qu’en dites-vous ? Il y a un spectaculaire retournement de situation... ce serait dommage de ne pas profiter d’un tel cliffhanger... Moi aussi, je pourrais faire écrivain, non ?

dimanche 5 juillet 2020

En Retard (66)

Ma langue se détache enfin de mon palais. Je peux de nouveau parler, baver, cracher, rouler la langue - c’est génétique - me toucher le bout du nez et le menton avec la pointe de la langue - je suis un véritable caméléon, niveau lingual - chasser et gober les mouches - caméléon vous dis-je - lécher des bottes... et des culs s’il le faut.

De nouveau capable de logorrhée, je suis conduit devant un agent à l’air fatigué derrière son bureau et son écran qui se reflète dans ses lunettes à la mode d’il y a vingt ans, époque à laquelle - estimation personnelle basée uniquement sur l’allure flétrie de mon interlocuteur - il devait avoir à peu près l’âge qui est le mien aujourd’hui - policier est un métier usant, physiquement et mentalement (façon polie de dire qu’être policier rend gros et con), rien n’exclut cependant que le gars en face de moi soit en réalité plus jeune que moi.

Nom ?
Maurice.
Prénom ?
Maurice.
(Petite pause) Vous vous foutez de ma gueule ?
Non, non, je n’oserais pas... même si l’envie ne m’en manque pas. Non, vraiment. Maurice est mon nom et Maurice est mon prénom. Maurice L. Maurice, c’est ainsi que je m’appelle. Et quand je dis « je m’ » ce n’est pas en vain, c’est le nom que je me suis choisi. Croyez-moi, si « on » m’avait appelé ainsi, il y a bien longtemps que j’aurais changé de nom.
(Nouvelle pause) Zavez fini ?
Fini ? Fini quoi ? D’utiliser cette plaisanterie à propos de mon pseudonyme ? Non, je n’ai pas fini... certainement pas... elle me plait trop, cette plaisanterie... elle ne m’agace pas encore... quant à ne plus me faire rire ou à me faire rire jaune, on en est encore loin...
M’avez l’air d’en être un sacré... Date et lieu de naissance ?
23 mai 2010 à Paris IV ou 22 septembre 2010 à Saint-Maurice-des-Lions (Charente), je vous laisse choisir. Vous pouvez même choisir le 23 juin si ça vous chante, j’en connais d’autres - et des plus malins que vous... sans vous offenser - qui s’y sont trompés...
Trop aimable...Vous faites quoi dans la vie ?
Je respire, mange, bois, baise, me promène, ris, pleure, écoute, regarde, goûte, touche, sens, ressens, poétise, m’émeut, souffre, m’enthousiasme, entends, vois, chie, pisse, me masturbe, chante, siffle, picole - je l’ai déjà dit, je sais... mais je bois beaucoup - peins, dessine, tape sur des bambous et sur des platanes - abattage ! - dors (trop), lis, cuisine, drague, échange, pense, n’en pense pas moins, aime, hais, marche, cours, rampe, touche, étreins, câline, caresse, me touche, me fais insulter, consomme, calcule, vends mon âme, me laisse aller, me laisse porter, me révolte en silence, me tais, renifle, me gratte le cul, me défends, me cure le nez, saigne, me douche - pas trop souvent - me brosse les dents, me mets le doigt dans l’œil - et ailleurs - tousse, photographie, me souviens, me rappelle, oublie...
(Le visage rubicond, qu’il s’apprête à franchir) Merde... la ferme... vous commencez à sévèrement me les briser avec vos conneries... je vous ai juste demandé votre profession...

samedi 4 juillet 2020

En Retard (65)

Je suis en retard, très en retard, trop en retard...

Je me suis couché tard, très tard, trop tard. Et ai oublié de programmer un réveil. Résultat, je me suis réveillé tard, très tard, trop tard, bien trop tard. Et n’ai pas le temps aujourd’hui, encore moins le temps aujourd’hui que d’habitude, vraiment pas le temps aujourd’hui d’écrire un billet - ne parlons même pas d’un billet digne de ce nom, mais, ça, ce ne serait pas exactement la première fois, si ? - pour votre feuilleton préféré, En Retard.
On l’aura compris, ma sieste, trop tardive, trop longue, aura eu raison d’En Retard pour aujourd’hui. Je suis trop en retard, j’ai trop peu de temps devant moi, pour m’attaquer à En Retard aujourd’hui.

Et en mauvais élève que je suis, j’ajouterai une seconde et mauvaise et fausse excuse à la première que je sais bien ne pas suffire : mon chat a mangé mes brouillons - alors que, pour En Retard, je n’en écris pas...

dimanche 28 juin 2020

En Retard (64)

Le commissariat le plus proche est sur mon chemin. Dans la bonne direction. Ça tombe bien, pour le mieux... je suis en retard. Qu’ils m’embarquent et m’avancent ne peut que m’aider. Et on me porte - je ne fais pas vraiment d’efforts pour tenir sur mes jambes : les deux flics me prennent par les épaules. Et on me transporte. En voiture. Qui certes sent un peu le vomi et la clope et le vin en cubi et le slip pas lavé et les chaussettes pas fraîches. En voiture, tout de même. Il n’y a vraiment pas de quoi se plaindre...

... à moins de ne pas supporter les insultes, les intimidations, les bourrages de côtes, les gifles et les crachats...

... mais je ne vais pas me répandre à propos des violences, physiques ou non, policières... j’aurais l’air de faire allusion à un mouvement contestataire international en cours, l’air de me raccrocher (pour de simples raisons marketing - je ne soutiens ni ne m’oppose à ce mouvement anti-police : je m’en fous royalement) à l’actualité... ce qui serait contraire à l’esprit même de ce feuilleton qui est d’être... en retard...

... je chante donc, depuis ma cellule de dégrisement, les louanges des forces du désordre, vante leurs sens du devoir et du service public auprès de mes compagnons d’enfermement qui, eux contrairement à moi, méritent d’être enfermés et remercie le maton qui me rappelle que, pour mon bien, il vaudrait mieux que je ferme ma gueule, maintenant que j’arrive enfin à (re)parler.

samedi 27 juin 2020

En Retard (63)

Comment m’exprimer sans pouvoir parler, comment expliquer, sans prononcer un mot, que je suis chez moi, plus précisément devant chez moi, que j’ai simplement oublié la clef de l’autre côté de la porte, du côté de la porte où je ne suis pas, celui auquel je n’ai pas accès, puisque je suis de l’autre côté de la porte mais sans la clef qui permet de l’ouvrir, la porte, puisqu’elle se trouve de l’autre côté de la porte, du côté où je ne suis pas et où se trouve la clef ? - on pourrait continuer ainsi longtemps, je pourrais continuer ainsi longtemps ; le lecteur, je n’en doute pas, me saura gré de l’épargner en interrompant relativement tôt ce paragraphe qui pourrait être infini.

Je pourrais certes leur faire comprendre, aux deux poulets, qu’avec une feuille de papier et un crayon, je serais plus à même d’échanger... mais tout le monde sait que la lecture n’est pas exactement le point fort des keufs... Cette attaque, purement gratuite, dénuée de tout fondement, n’a été conservée que parce que l’auteur, moi-même, n’a rien trouvé de mieux ni de plus drôle pour justifier le fait qu’il ne passe pas par un simple carnet pour converser par écrit... les insultes et les méchancetés constituent souvent une très efficace solution de facilité.

Je tente de cligner des yeux, un seul pour une brève, les deux à la fois pour une longue, de toquer sur le plancher de la cage d’escalier pour prendre le relais quand je commence à fatiguer des paupières... aucune réaction. Pourquoi n’apprend-on plus le morse ? Goo goo g’joob !

Je dois me résoudre à ne compter que sur mes dix doigts. Le langage des signes n’est pas fort. Je ne maîtrise réellement que le high five pour saluer de loin et le majeur dressé pour faire part de mon mécontentement. L’enchaînement de ces deux signes et de quelques morceaux de mime totalement improvisés semble convaincre les deux représentants de l’ordre qui hochent la tête. Je leur souris. Ils me sourient. Ils se regardent l’un l’autre.

- Tu penses qu’il est bourré ou qu’il est juste con ?
- Un peu des deux, je dirais... on l’embarque ?
- On l’embarque...

Visiblement, je me suis mal fait comprendre.

dimanche 21 juin 2020

En Retard (62)

J’ouvre les yeux.

Je ne suis pas chez moi. Je n’en suis pas si loin.
Je suis devant ma porte d’entrée. Couché sur le palier. Mon oreiller est mon paillasson. Sur lequel est écrit Bienvenue. Il y a un mot aimable sur tous les paillassons vendus en magasin. Selon mon expérience. Je n’ai pas non plus cherché dans toutes les boutiques de Paris. J’avais besoin d’un paillasson. Je me suis rendu au BHV. Ils n’avaient que des paillassons aimables. Avec des messages du type Home Sweet Home, Maison du Bonheur, Bienvenue chez Nous. J’en ai conclu que tous les paillassons étaient accueillants. Et conçus pour les hypocrites. C’est dommage, j’aurais aimé un paillasson Faites Demi-Tour, Rentre chez Toi, Vous n’êtes pas Invités... ça aurait été plus honnête. Peut-être n’ai-je pas assez bien cherché, pas assez longtemps.

L’alarme, le buzzer, la trompette fêlée, qui me brise les tympans, c’est mon chat - elle, c’est une fille, a une voix atroce, insupportable, sa voix est aussi moche qu’elle n’est, elle, ma chatte, belle ; elle est magnifique, ma chatte - derrière la porte qui hurle son désespoir d’avoir sa gamelle vide. J’ai oublié mes clefs à l’intérieur de l’appartement en le quittant, hier matin. Je n’ai pas pu rentrer nourrir ma panthère... Il faut que j’appelle un serrurier. D’urgence.
Je ne me souviens en revanche absolument pas comment j’ai atterri ici, sur mon palier, si j’ai fait le chemin seul, accompagné, si l’on m’a porté. Mon dernier souvenir c’est le crochet du droit de la barmaid dans ma pommette. Peut-être s’est-il écoulé plusieurs jours depuis ce dernier souvenir. On me dirait que ce coup de poing remonte à une semaine que je n’en serais même pas étonné...

Ah, et ces petits coups de pied qu’on me donne dans les côtes... qui me les adresse ? Dans le flou de mon champ de vision, je crois discerner deux uniformes. La police ? Je voudrais protester que je suis chez moi, ou presque... je ne peux, je n’en suis pas capable... la langue me colle au palais.

samedi 20 juin 2020

En Retard (61)

Qui a changé l’alarme de mon réveil-matin ?
J’ai choisi, il y a déjà bien longtemps, d’être réveillé en chanson. À l’heure programmée, la radio s’allume. C’est parfois du jazz qui me tire du sommeil. Parfois du classique. Ou du rock. Du folk. De la chanson. De la world-music. Tous les matins, je suis surpris. Jamais désagréablement surpris. FIP ne visite jamais les paysages moroses de la soupe avariétée ou de la dance-music sans âme à vendre au diable.
Pourquoi alors dois-je ce matin subir les assauts d’une sonnerie dans laquelle semblent se mêler le grincement d’une porte, le nasillement d’un kazoo et le bêlement d’une chèvre asthmatique ? Qu’ai-je fait pour mériter telle torture sonore ?

Et la barbe, peut-elle pousser à l’envers ? En direction de la joue ? Rentrer depuis l’extérieur dans la joue ? Comment expliquer autrement cette impression qu’on m’enfonce une botte d’aiguilles (qui sent étrangement le foin) dans le visage ? Quelle qu’en soit la face que je présente à l’oreiller...

Et les matelas, ne sont-ils pas censés se creuser et se ramollir avec le temps ? Pourquoi le mien est-il devenu si dur ? Se pourrait-il que je l’ai tellement creusé que j’ai atteint le sommier ?

Et ce buzzer qui n’en finit pas de couiner...

Non, je n’ouvrirai pas les yeux. Non, je ne me lèverai pas. Inutile de me rendre la fin de nuit si difficile. Inutile de me pousser du pied...

...

Me pousser du pied ?
...
Il y a quelqu’un chez moi ?
...
Suis-je chez moi ?



J’ouvre les yeux...

dimanche 14 juin 2020

En Retard (60)

Mais dis dites moi... si Gigi, elle veut pas que ça’s’s’s’sache, que c’est elle... que c’est son bar... c’est parce qu’en fait c’est un bar... clin d’œil coquin... hein ? Un bar comment ? qu’est ce que t’entends par là ? Oh, on sait bien que Gigi... non j’refais pas le geste... j’vais encore m’casser la gueule... mais, enfin, on se comprend, quoi... pfff... wouapa... j’veux dire, y a une salle derrière... non ? plus feutrée... ambiance... rouge et noire... non ? par exemple, vous, toi... et moi, une petite fessée... dans l’arrièreeee boutique... ou le mamarmartinet, si tu vous préfères... vous tu sais... j’suis open... nouvelles expériences... tout ça...

Dans un effort dont je ne me croyais plus capable, je tends le bras vers la barmaid et lui saisis le poignet gauche. Je lui fais un signe de tête en direction de la porte, juste à droite du bar, sur laquelle a été cloué un petit écriteau affichant Privé, puis lui montre ma langue de façon obscène.
En récompense de mon numéro de séduction, je récolte un direct du droit dans la pommette gauche. Je bascule en arrière. Mon tabouret suit le mouvement. Personne ne me retient ni ne ralentit ma chute. Impact au sol. Black-out.