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samedi 20 février 2021

Les Chaînons de Karinthy (3)

J’ai un peu honte de l’avouer... tant pis, on y trouvera confirmation que j’ai sombré dans la folie... depuis cette nuit, je m’adonne en permanence à ce jeu, au jeu. Non seulement avec des êtres humains mais aussi avec des objets. Et même des événements. Et je suis devenu plutôt doué, croyez-moi. C’est un jeu inutile, évidemment, mais je ne peux m’empêcher d’y jouer. Comme un flambeur qui, ayant perdu tout son argent, jouerait pour des cacahuètes, sans réel espoir de gain, uniquement pour pouvoir continuer à regarder les cartes des quatre couleurs. C’est une véritable obsession : comment puis-je lier en trois, quatre ou, maximum, cinq chaînons des objets de la vie quotidienne ? Comment puis-je lier un phénomène à un autre ? Comment lier le relatif, l’éphémère avec le stable et le permanent ? Comment lier la partie et le tout ?

Il serait si doux de juste vivre, juste m’amuser et juste prendre les choses comme elles se présentent, accepter le plaisir ou la souffrance qu’elles me procurent. Hélas, je n’en suis plus capable, je n’y parviens plus. Le jeu me fait espérer trouver une signification profonde dans ce regard qui me sourit ou dans ce poing qui me frappe, quelque chose qui irait au-delà de l’envie de me rapprocher du premier et de me cacher du second. Une personne m’aime. Une autre me déteste. Pourquoi ? Pourquoi l’amour ? Pourquoi la haine ?
Deux personnes ne se comprennent pas entre elles mais, moi, je suis censé comprendre l’une et l’autre. Comment ? Un chauffard grille un feu rouge pendant que mon chat fait ses griffes sur le canapé. L’Etna rentre en éruption pendant que le PSG s’impose enfin à Barcelone. Je nettoie le lave-vaisselle pendant que Tonton David est victime d’un AVC. Marabout / Bout de ficelle / Selle de Cheval / Valadon / Don du Ciel / Ciel de Traîne / Traîne des Pieds / Pied de Lampe / Lampe Tempête / Pète au Casque/ Casque à Pointe / Pointe de Sel / Selle de Cheval... Comment construire une quelconque chaîne entre ces éléments aléatoires en ne faisant que des suppositions raisonnables et sans remplir trente volumes de philosophie ? Comment construire une chaîne qui toujours débute par le sujet et dont le dernier maillon est raccordé à moi, comme source de tout ?

Voici que sonne mon téléphone. Un faux numéro. Qui s’excuse à peine. Et raccroche. Qui ma fait oublier ce que j’allais dire et écrire. Pourquoi me déranger pendant ma réflexion ? Premier lien :  celui qui téléphone se moque bien de déranger les gens qui pensent. Deuxième lien : ceux qui pensent ne sont pas respectés dans le monde actuel. L’intellect est dénigré de nos jours, l’intellect est même suspect. Troisième lien : ce dénigrement est la source de l’hystérie et de la peur et de la terreur qui étreignent l’Occident aujourd’hui. Et ainsi de suite jusqu’au quatrième lien : l’Occident est en plein effondrement.
Bon, laissons notre monde s’effondrer et laissons le nouveau monde émerger. Laissons le nouveau Messie advenir. Laissons le Dieu de l’univers se montrer une nouvelle fois à travers le buisson ardent. Qu’il y ait la paix ! Qu’il y ait la guerre ! Qu’il y ait des révolutions ! Jusqu’à ce que - et ce sera mon cinquième chaînon - il ne puisse de nouveau arriver qu’on ose me déranger pendant que je pense, pendant que je libère mon imagination... pendant que je m’adonne au jeu !

Dijon, Versailles 201?-2021
D’après Chain-Links de Frigyes Karinthy (1929) traduit par Adam Makkai




vendredi 19 février 2021

Les Chaînons de Karinthy (2)

À partir de cette discussion - et pour détendre l’atmosphère - l’un de nous proposa une sorte d’expérience visant à prouver que les humains sont à présent plus proches les uns les autres qu’ils ne l’ont jamais été. Nous devions sélectionner n’importe qui parmi les 7 ou 8 - combien sommes-nous à présent ? j’ai perdu le compte - milliards d’habitants de cette planète. N’importe qui. N’importe où. Notre ami paria avec nous qu’il ne lui faudrait pas plus de cinq intermédiaires - chaque intermédiaire étant une connaissance de l’intermédiaire précédent - pour contacter l’individu désigné, en utilisant rien d’autre que cette espèce de réseau de connaissances personnelles. Par exemple : « Tiens, tu connais Mr. X.Y., demande-lui s’il te plaît de contacter Mr. Q.W. qu’il connaît... et ainsi de suite... »

Ce jeu (le jeu) nous enthousiasma immédiatement.
Comment contacterais-tu Peter Handke ? - auteur pour lequel j’ai une immense admiration.

Allons bon, Peter Handke, rien de plus simple. Et il parvint à une solution en moins de deux. Peter Handke fut lauréat du Prix Nobel de Littérature l’an dernier. Il est donc lié au roi Charles de Suède puisque, selon la coutume, c’est ce dernier qui lui a remis le prix. On se doute que le roi de Suède a dû rencontrer le président Macron au cours d’un quelconque sommet entre chefs d’état européens. Et, comme vous le savez, j’ai fait partie du cabinet Macron lorsqu’il était ministre de l’économie du gouvernement Valls II... -  l’initiateur du jeu était un ancien haut fonctionnaire de l’administration publique.
Tout ce dont nous avions eu besoin pour ce premier essai fut trois chaînons sur les cinq autorisés. Ce ne fut qu’une demi-surprise. Il nous semblait en effet assez évident qu’il est toujours plus simple de trouver quelqu’un qui connaît une célébrité ou un personnage public plutôt qu’un anonyme, une personne lambda.

Je proposai alors un problème plus difficile : trouver une chaîne de contacts me liant à un des ouvriers ayant participé à la fabrication de l’iPad sur lequel je recrée ce texte. Et le problème fut résolu. En cinq chaînons. L’ouvrier - chinois, forcément, les iPad sont made in China - travaille sous la direction d’un contremaître - ou quel que soit son titre. Ce dernier ne pourrait se maintenir à ce poste à responsabilités s’il ne connaissait le dirigeant local du Parti Communiste Chinois qui, lui-même, doit bien avoir rencontré Xi Jiping, président de la République Populaire de Chine et Premier Secrétaire du Parti lors d’une de leurs grand-messes. Quant à Xi Jiping, il a rencontré Macron pour lequel notre ami ici présent a travaillé...

Le jeu se poursuivit ainsi une bonne partie de la nuit. Notre ami avait absolument raison. Personne dans notre petit groupe n’eut besoin de plus de cinq maillons pour atteindre par la méthode «  de connaissance de connaissance » n’importe quel habitant de la Terre.
Ceci nous amena à une autre question : y eut-il un moment dans l’histoire de l’humanité où ce fut impossible ? Jules César, par exemple, était certainement l’homme le plus puissant de son époque. Pourtant s’il avait eu en tête de joindre un prêtre maya ou aztèque (je garde volontairement l’anachronisme du texte original : les Aztèques n’ont en aucun cas été contemporains de la République Romaine, celle-ci les précède de quelques douze siècles), il n’aurait jamais pu réussir. Ni en cinq étapes, ni en trois cents ou ni en trois millions. Les Européens à cette époque en savaient moins sur les Américains que nous n’en savons sur Mars et les Martiens.

Il existe donc une force à l’œuvre, un processus réciproque de contraction et d’expansion. Une chose fusionne, s’effondre, se replie sur elle-même tandis qu’une autre, simultanément, grandit et déborde. Comment est-il possible que cette croissance matérielle puisse avoir débuté par l’étincelle qui brillait, il y a quelques millions d’années dans la masse des nerfs d’un hominidé primitif ? Et comment peut-on concevoir que cette croissance continue ait la faculté de réduire le monde à trois fois rien ?
Doit-on en déduire que les idées triomphent de la matière ? Que l’esprit soit plus puissant que le corps ? Que la vie ait une signification qui survive à la vie elle-même ? Que le bien survive au mal comme la vie survit à la mort ? Et que Dieu, après tout, soit plus puissant que le Diable ?

jeudi 18 février 2021

Les Chaînons de Karinthy (1)

Les Chaînons de Karinthy


Nos soirées entre amis - c’était du temps où j’avais encore des amis, avant que je ne m’isole complètement pour m’adonner au jeu - étaient régulièrement le théâtre de débats passionnés, à propos de tout et de rien. Ce soir-là, le sujet était un peu plus sérieux qu’à l’accoutumée, les échanges plus intenses. Il s’agissait de décider si le monde avance, évolue, progresse dans une direction précise ou si l’univers n’est qu’un éternel recommencement.

Il y a pourtant un fait qu’on ne peut ignorer, avançai-je au milieu de la discussion, comment l’exprimer d’une façon nouvelle ?, disons-le ainsi : la Terre n’a jamais paru aussi ridiculement petite qu’aujourd’hui. La rapidité de nos moyens de transport, la quasi-instantanéité de nos moyens de communication l’ont fait rétrécir - de manière relative, bien entendu - dans des proportions inimaginables il y a quelques années encore.
Ce n’est certes pas une idée neuve, loin de là, mais en avons-nous tiré toutes les conséquences ? Quiconque dans le monde, si je le veux et s’il le veut, peut désormais, en quelques secondes à peine, savoir ce que je pense ou fais et ce que je désire ou ce que j’aimerais faire. Et, en quelques heures tout au plus, je pourrais me rendre n’importe où dans le monde.
Ça semble presque magique. Ça ressemble vraiment à de la magie. La science, la technologie et la magie se confondent presque parfaitement. Nous vivons au pays des merveilles. Ni plus ni moins. Abracadabra. Mais... car il y a un mais... ce monde magique est finalement ultra décevant : il est minuscule, bien plus petit que le monde réel n’a jamais été.

Chesterton - écrivain anglais du début du XXème siècle dont je ne connaissais pas le nom avant de recréer ce texte de Frigyes Karinthy à partir de sa traduction anglaise par un certain Adam Makkai mais sur lequel, si je me fie à sa fiche Wikipedia, je ferais bien de me pencher - n’imaginait pas l’Univers autrement que ramassé, intime, resserré et trouvait proprement stupide de dépeindre le Cosmos comme un objet vraiment immense. Je pense que cette idée est résolument moderne. Cependant, alors que Chesterton rejetait le progrès technique, il fut finalement bien forcé d’admettre que le monde féérique qu’il appelait de ses vœux ne pourrait naître que de la révolution scientifique à laquelle il s’opposait de manière véhémente.

Rien ne dure, tout passe, tout se renouvelle. Il en a toujours été ainsi. La seule différence est que le rythme de ce renouvellement connaît aujourd’hui une accélération inouïe à la fois dans l’espace et dans le temps. Ce qui jadis constituait des pans entiers de l’histoire du monde se joue à présent en quelques mois, voire en quelque semaines.

Je me répète - et j’ai horreur de me répéter - en avons-nous tiré toutes les conséquences ? Ces quelques éléments de réflexion, à quelle conclusion aboutissent-ils ?
Cette conclusion, je la connais. Je le sais, oui, j’en suis sûr... mais je n’arrive pourtant pas à mettre le doigt dessus. Il me semble que j’oublie la solution au fur et à mesure que je m’en approche, que j’en doute dès que je parviens à la formuler. Comme si j’étais trop proche de la Vérité. De la même manière qu’une boussole se détraque et que son aiguille se met à tourner en rond à proximité du Pôle Nord, nos croyances ne sont plus aussi fermes quand on s’approche trop près de Dieu.

lundi 3 février 2020

Confus cyanisme

Une image vaut mille mots.

Un mot, par une division sommaire, accessible à tous, même ceux qui se déclarent nuls en maths, vaut donc un millième d'image.
Un millième d'image, ceci dit, qu'est-ce donc si ce n'est toujours une image simplement grossie, zoomée et recadrée ?
On en déduira qu'un mot, un millième d'image, vaut une image.
Or, une image, d'après le mot d'ouverture de ce billet, vaut mille mots.
Conclusion : un mot vaut mille mots. Par itérations successives du procédé, on prouvera de même qu'un mot vaut également un million de mots puis un milliard de mots puis un billion de mots, etc.
L'infini est à portée de mot.


Une image vaut mille mots.

Le mot est attribué à Confucius.
Qui ne se fit pas peintre pour autant.
La figure de l'intellectuel engagé n'avait pas encore été inventée.

vendredi 25 janvier 2019

Paréidolie


Kosmos



Ai passé la journée au lit. Toute la journée. Au lit. Dans mon lit. Sur mon lit. Sur le dos. Allongé.

À ne rien faire.



Je ne crois pas qu’il soit possible de ne rien faire. De ne vraiment faire rien.

Sans vouloir parodier papy Hamlet, être (allongé, par exemple) quand existe l’éventualité de ne pas être (allongé, par exemple), n’est-ce pas déjà faire ? Renoncer à faire quoi que ce soit (pour autant qu’il est possible de ne faire quoi que ce soit), n’est-ce pas déjà faire ? Exister, vivre, n’est-ce pas déjà faire ? faire quelque chose ? J’aurais dû, probablement, au lieu de « à ne rien faire », plutôt dire « à ne rien faire de concret, de tangible » ou « à ne rien produire » mais ce texte déborde déjà de lourdeurs superflues. Simplifions, donc : À ne rien faire.



À regarder. À scruter. Le plafond. Blanc. Lépreux. À chercher. Chercher encore et encore. Sans lassitude. Chercher dans les failles. Dans les fissures. Dans les moindres fissures. Dans les petits éclats de peinture. Dans les tâches aux couleurs aussi incertaines (noirâtres ? grisâtres ? brunâtres ? jaunâtres ?) que leur l'origine. Dans les ombres qui traversent lentement, au fil du jour, la pièce. Et même dans les petits insectes qui se baladent sens dessus-dessous, sans visiblement s’apercevoir qu’ils se meuvent pattes en l’air, collées au plafond blanc, lépreux.

Toute la journée, à regarder, à chercher.

À l’horizontale. Une heure puis deux. Rien. Trois. Rien, toujours rien. Quatre. Fissures, trace de peinture plus claire, plus récente, tâche d’humidité, rien. Cinq, six, sept, huit. Rien de rien.

Non, définitivement rien.


Mes efforts de concentration furent vains, inutiles. Le temps (et donc l’argent) ainsi perdu, définitivement gaspillé. Il n’y avait rien. Rien, non, rien. Pour moi, il n’y avait rien. Rien de particulier. Rien que de terre à terre. Les fissures n’étaient que des fissures. Dans les tâches de moisissures, je ne voyais que des tâches de moisissure, dans les déplacements des insectes que des insectes qui se déplacent, un peu au hasard, de fissures (qui n’étaient que des fissures) en fissures, d’éclat de peinture (rien d’autre que des éclats de peinture) en éclat de peinture.

Ni image ni grand dessein. Pas même une esquisse. Aucun message. Aucune figure remarquable qui me saute aux yeux dans tous ces éléments, dans leur disposition. Aucun plan, secret ou non. Pas l'ombre d'une droite ou d'une flèche. Pas même une direction privilégiée. Chaos, hasard, néant. Nada.



Les signes étaient... sont pourtant là, évidents, nombreux, riches. À disposition. Offerts.

Je ne sais y lire. Je ne sais y trouver. Je ne sais y découvrir. Y inventer.


Quel foutu poète je fais… me montrerait-on un nuage que je serais incapable d’y voir un mouton.