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jeudi 27 octobre 2022
samedi 20 février 2021
Les Chaînons de Karinthy (3)
J’ai un peu honte de l’avouer... tant pis, on y trouvera confirmation que j’ai sombré dans la folie... depuis cette nuit, je m’adonne en permanence à ce jeu, au jeu. Non seulement avec des êtres humains mais aussi avec des objets. Et même des événements. Et je suis devenu plutôt doué, croyez-moi. C’est un jeu inutile, évidemment, mais je ne peux m’empêcher d’y jouer. Comme un flambeur qui, ayant perdu tout son argent, jouerait pour des cacahuètes, sans réel espoir de gain, uniquement pour pouvoir continuer à regarder les cartes des quatre couleurs. C’est une véritable obsession : comment puis-je lier en trois, quatre ou, maximum, cinq chaînons des objets de la vie quotidienne ? Comment puis-je lier un phénomène à un autre ? Comment lier le relatif, l’éphémère avec le stable et le permanent ? Comment lier la partie et le tout ?
Il serait si doux de juste vivre, juste m’amuser et juste prendre les choses comme elles se présentent, accepter le plaisir ou la souffrance qu’elles me procurent. Hélas, je n’en suis plus capable, je n’y parviens plus. Le jeu me fait espérer trouver une signification profonde dans ce regard qui me sourit ou dans ce poing qui me frappe, quelque chose qui irait au-delà de l’envie de me rapprocher du premier et de me cacher du second. Une personne m’aime. Une autre me déteste. Pourquoi ? Pourquoi l’amour ? Pourquoi la haine ?
Deux personnes ne se comprennent pas entre elles mais, moi, je suis censé comprendre l’une et l’autre. Comment ? Un chauffard grille un feu rouge pendant que mon chat fait ses griffes sur le canapé. L’Etna rentre en éruption pendant que le PSG s’impose enfin à Barcelone. Je nettoie le lave-vaisselle pendant que Tonton David est victime d’un AVC. Marabout / Bout de ficelle / Selle de Cheval / Valadon / Don du Ciel / Ciel de Traîne / Traîne des Pieds / Pied de Lampe / Lampe Tempête / Pète au Casque/ Casque à Pointe / Pointe de Sel / Selle de Cheval... Comment construire une quelconque chaîne entre ces éléments aléatoires en ne faisant que des suppositions raisonnables et sans remplir trente volumes de philosophie ? Comment construire une chaîne qui toujours débute par le sujet et dont le dernier maillon est raccordé à moi, comme source de tout ?
Voici que sonne mon téléphone. Un faux numéro. Qui s’excuse à peine. Et raccroche. Qui ma fait oublier ce que j’allais dire et écrire. Pourquoi me déranger pendant ma réflexion ? Premier lien : celui qui téléphone se moque bien de déranger les gens qui pensent. Deuxième lien : ceux qui pensent ne sont pas respectés dans le monde actuel. L’intellect est dénigré de nos jours, l’intellect est même suspect. Troisième lien : ce dénigrement est la source de l’hystérie et de la peur et de la terreur qui étreignent l’Occident aujourd’hui. Et ainsi de suite jusqu’au quatrième lien : l’Occident est en plein effondrement.
Bon, laissons notre monde s’effondrer et laissons le nouveau monde émerger. Laissons le nouveau Messie advenir. Laissons le Dieu de l’univers se montrer une nouvelle fois à travers le buisson ardent. Qu’il y ait la paix ! Qu’il y ait la guerre ! Qu’il y ait des révolutions ! Jusqu’à ce que - et ce sera mon cinquième chaînon - il ne puisse de nouveau arriver qu’on ose me déranger pendant que je pense, pendant que je libère mon imagination... pendant que je m’adonne au jeu !
Dijon, Versailles 201?-2021
D’après Chain-Links de Frigyes Karinthy (1929) traduit par Adam Makkai
vendredi 19 février 2021
Les Chaînons de Karinthy (2)
À partir de cette discussion - et pour détendre l’atmosphère - l’un de nous proposa une sorte d’expérience visant à prouver que les humains sont à présent plus proches les uns les autres qu’ils ne l’ont jamais été. Nous devions sélectionner n’importe qui parmi les 7 ou 8 - combien sommes-nous à présent ? j’ai perdu le compte - milliards d’habitants de cette planète. N’importe qui. N’importe où. Notre ami paria avec nous qu’il ne lui faudrait pas plus de cinq intermédiaires - chaque intermédiaire étant une connaissance de l’intermédiaire précédent - pour contacter l’individu désigné, en utilisant rien d’autre que cette espèce de réseau de connaissances personnelles. Par exemple : « Tiens, tu connais Mr. X.Y., demande-lui s’il te plaît de contacter Mr. Q.W. qu’il connaît... et ainsi de suite... »
Ce jeu (le jeu) nous enthousiasma immédiatement.
Comment contacterais-tu Peter Handke ? - auteur pour lequel j’ai une immense admiration.
Allons bon, Peter Handke, rien de plus simple. Et il parvint à une solution en moins de deux. Peter Handke fut lauréat du Prix Nobel de Littérature l’an dernier. Il est donc lié au roi Charles de Suède puisque, selon la coutume, c’est ce dernier qui lui a remis le prix. On se doute que le roi de Suède a dû rencontrer le président Macron au cours d’un quelconque sommet entre chefs d’état européens. Et, comme vous le savez, j’ai fait partie du cabinet Macron lorsqu’il était ministre de l’économie du gouvernement Valls II... - l’initiateur du jeu était un ancien haut fonctionnaire de l’administration publique.
Tout ce dont nous avions eu besoin pour ce premier essai fut trois chaînons sur les cinq autorisés. Ce ne fut qu’une demi-surprise. Il nous semblait en effet assez évident qu’il est toujours plus simple de trouver quelqu’un qui connaît une célébrité ou un personnage public plutôt qu’un anonyme, une personne lambda.
Je proposai alors un problème plus difficile : trouver une chaîne de contacts me liant à un des ouvriers ayant participé à la fabrication de l’iPad sur lequel je recrée ce texte. Et le problème fut résolu. En cinq chaînons. L’ouvrier - chinois, forcément, les iPad sont made in China - travaille sous la direction d’un contremaître - ou quel que soit son titre. Ce dernier ne pourrait se maintenir à ce poste à responsabilités s’il ne connaissait le dirigeant local du Parti Communiste Chinois qui, lui-même, doit bien avoir rencontré Xi Jiping, président de la République Populaire de Chine et Premier Secrétaire du Parti lors d’une de leurs grand-messes. Quant à Xi Jiping, il a rencontré Macron pour lequel notre ami ici présent a travaillé...
Le jeu se poursuivit ainsi une bonne partie de la nuit. Notre ami avait absolument raison. Personne dans notre petit groupe n’eut besoin de plus de cinq maillons pour atteindre par la méthode « de connaissance de connaissance » n’importe quel habitant de la Terre.
Ceci nous amena à une autre question : y eut-il un moment dans l’histoire de l’humanité où ce fut impossible ? Jules César, par exemple, était certainement l’homme le plus puissant de son époque. Pourtant s’il avait eu en tête de joindre un prêtre maya ou aztèque (je garde volontairement l’anachronisme du texte original : les Aztèques n’ont en aucun cas été contemporains de la République Romaine, celle-ci les précède de quelques douze siècles), il n’aurait jamais pu réussir. Ni en cinq étapes, ni en trois cents ou ni en trois millions. Les Européens à cette époque en savaient moins sur les Américains que nous n’en savons sur Mars et les Martiens.
Il existe donc une force à l’œuvre, un processus réciproque de contraction et d’expansion. Une chose fusionne, s’effondre, se replie sur elle-même tandis qu’une autre, simultanément, grandit et déborde. Comment est-il possible que cette croissance matérielle puisse avoir débuté par l’étincelle qui brillait, il y a quelques millions d’années dans la masse des nerfs d’un hominidé primitif ? Et comment peut-on concevoir que cette croissance continue ait la faculté de réduire le monde à trois fois rien ?
Doit-on en déduire que les idées triomphent de la matière ? Que l’esprit soit plus puissant que le corps ? Que la vie ait une signification qui survive à la vie elle-même ? Que le bien survive au mal comme la vie survit à la mort ? Et que Dieu, après tout, soit plus puissant que le Diable ?
jeudi 18 février 2021
Les Chaînons de Karinthy (1)
Les Chaînons de Karinthy
Nos soirées entre amis - c’était du temps où j’avais encore des amis, avant que je ne m’isole complètement pour m’adonner au jeu - étaient régulièrement le théâtre de débats passionnés, à propos de tout et de rien. Ce soir-là, le sujet était un peu plus sérieux qu’à l’accoutumée, les échanges plus intenses. Il s’agissait de décider si le monde avance, évolue, progresse dans une direction précise ou si l’univers n’est qu’un éternel recommencement.
Il y a pourtant un fait qu’on ne peut ignorer, avançai-je au milieu de la discussion, comment l’exprimer d’une façon nouvelle ?, disons-le ainsi : la Terre n’a jamais paru aussi ridiculement petite qu’aujourd’hui. La rapidité de nos moyens de transport, la quasi-instantanéité de nos moyens de communication l’ont fait rétrécir - de manière relative, bien entendu - dans des proportions inimaginables il y a quelques années encore.
Ce n’est certes pas une idée neuve, loin de là, mais en avons-nous tiré toutes les conséquences ? Quiconque dans le monde, si je le veux et s’il le veut, peut désormais, en quelques secondes à peine, savoir ce que je pense ou fais et ce que je désire ou ce que j’aimerais faire. Et, en quelques heures tout au plus, je pourrais me rendre n’importe où dans le monde.
Ça semble presque magique. Ça ressemble vraiment à de la magie. La science, la technologie et la magie se confondent presque parfaitement. Nous vivons au pays des merveilles. Ni plus ni moins. Abracadabra. Mais... car il y a un mais... ce monde magique est finalement ultra décevant : il est minuscule, bien plus petit que le monde réel n’a jamais été.
Chesterton - écrivain anglais du début du XXème siècle dont je ne connaissais pas le nom avant de recréer ce texte de Frigyes Karinthy à partir de sa traduction anglaise par un certain Adam Makkai mais sur lequel, si je me fie à sa fiche Wikipedia, je ferais bien de me pencher - n’imaginait pas l’Univers autrement que ramassé, intime, resserré et trouvait proprement stupide de dépeindre le Cosmos comme un objet vraiment immense. Je pense que cette idée est résolument moderne. Cependant, alors que Chesterton rejetait le progrès technique, il fut finalement bien forcé d’admettre que le monde féérique qu’il appelait de ses vœux ne pourrait naître que de la révolution scientifique à laquelle il s’opposait de manière véhémente.
Rien ne dure, tout passe, tout se renouvelle. Il en a toujours été ainsi. La seule différence est que le rythme de ce renouvellement connaît aujourd’hui une accélération inouïe à la fois dans l’espace et dans le temps. Ce qui jadis constituait des pans entiers de l’histoire du monde se joue à présent en quelques mois, voire en quelque semaines.
Je me répète - et j’ai horreur de me répéter - en avons-nous tiré toutes les conséquences ? Ces quelques éléments de réflexion, à quelle conclusion aboutissent-ils ?
Cette conclusion, je la connais. Je le sais, oui, j’en suis sûr... mais je n’arrive pourtant pas à mettre le doigt dessus. Il me semble que j’oublie la solution au fur et à mesure que je m’en approche, que j’en doute dès que je parviens à la formuler. Comme si j’étais trop proche de la Vérité. De la même manière qu’une boussole se détraque et que son aiguille se met à tourner en rond à proximité du Pôle Nord, nos croyances ne sont plus aussi fermes quand on s’approche trop près de Dieu.
jeudi 2 avril 2020
Un Texte de Maurice Confiné (3)
Où, ailleurs que sur les banquettes du métro, pourrais-je, pour me tenir au courant des dernières tendances, des derniers sons à la mode, coller mon oreille tout contre l’oreille d’une adolescente et saisir des bribes de ce que diffusent ses écouteurs ?
Qu’on ne se méprenne pas, je suis parfaitement conscient que ce type comportement est intrusif et on ne peut plus désagréable... personne n’aime les indiscrets, je le sais bien... il n’est rien de plus méprisable que d’écouter aux portes - fussent-elles des pavillons - on me l’a appris... n’étant pas un indélicat, j’ai mis sur pied un stratagème pour que les jeunes femmes dont j’épie la musique ne se sentent pas espionnées : pendant ma prise de son, je glisse une main sous leur jupe. Ça ne rate jamais, elles se méprennent sur mes intentions et oublient le dérangement procuré par le chatouillement de mon lobe contre leur lobe.
Où, ailleurs que sur une banquette de métro arrêté pour régulation dans un tunnel entre deux stations, sans aucune perspective de fuite, pourrais-je accepter de m’infliger une interprétation de l’Ode à la Joie de ce bon vieux Ludwig van à l’accordéon et au violon tzigane sur fond de boite à rythme bas de gamme...
...et d’en ressortir profondément ému, totalement tourneboulé, l’estomac noué, les tympans percés, incapable de retenir mes larmes et doutant de mon envie de vivre plus longtemps - comment l’avenir pourrait-il renfermer quoi que ce soit d’aussi fort que ces trois minutes avec les Filles de l’Élysée ?
Où, ailleurs que sur la banquette du dernier métro, aurais-je la patience d’attendre qu’un vieux poivrot ait fini de vomir pour entendre la suite de son couplet raciste et sexiste ?
Le métro est le repaire des véritables artistes. De ceux qui n’ont que faire du bon goût bourgeois et ne se soucient pas des études de marché. Qui se sacrifient à leur art et refusent de rentrer dans le cadre imposé par la télévision et dans le format radio.
Le musicien du métro ne s’achète pas les instruments les plus chers. Il privilégie les instruments les moins populaires, usés de préférence, les instruments qui sonnent mal, ceux qui sont grincent et sifflent, ceux qui blessent l’oreille. Le vrai musicien sait que de la contrainte naît le plus pur des arts.
Le chanteur de métro sait bien que, pour construire une belle chanson, seules la fluidité, le rime et poésie comptent. Tout le reste n’est que secondaire. J’ai tellement d’exemples en tête qu’un seul suffira. Une image vaut mille mots comme disait l’autre - mais ça n’a pas grand chose à voir.
Je me souviens comme d’une révélation de cette femme entre deux âges trainant de wagon en wagon une enceinte fatiguée sur un diable brinquebalant. Sur une bande instrumentale méconnaissable, elle s’évertuait à redonner du sens et du son aux chansons les plus fades du répertoire français : les chansons play-backées par des Michel.
Les Michel (Fugain, Delpech, Jonasz... complétez vous même la liste) sont la lie de la chanson française, il n’en est pas un pour rattraper l’autre. Il devrait être interdit de faire carrière de chanteur en s’appelant Michel - le prénom est heureusement passé de mode, l’avenir musical s’annonce un peu plus radieux. Quand vint le tour de Michel Dassin (le pire de la bande) je m’attendais à tout, y compris au meilleur. Et ce fut sublime.
Dire qu’il suffisait de modifier quelques syllabes, deux trois seulement, pour que la beauté naisse du néant : et si tout n’existât pas, dis moi porquoi j’existéras. Admirez la création de la rime interne, à l’hémistiche, au prix (fort raisonnable) d’une (très pardonnable) faute de conjugaison. Admirez ce recours inattendu (et, certes, incorrect) à l’imparfait du subjonctif pour construire une très belle assonance en a. Admirez ce pourquoi subtilement transformé en porquoi pour éviter qu’une assonance en ou ne vienne gâcher celle en a. Admirez enfin ce tu banal chez le fils de Jules qui devient ici un tout universel... ou comment d’une bluette mièvre faire une déchirante interrogation métaphysique.
Quel directeur artistique de maison de disques aurait accepté tant de risques syntaxiques ? L’art officiel n’admet que la tiédeur...
Et quand les musiciens du métro finissent leur petit concert et font le tour des usagers, un gobelet en plastique ou une boite de conserve rouillée à la main, c’est avec un véritable pincement au cœur que je refuse de leur donner les pièces et billets que j’ai en poche : hors de question de faire d’eux des vendus. Leur talent vaut bien plus que de l’argent.
Versailles, fin mars - début avril 2020,
deuxième et troisième semaines de confinement
mercredi 1 avril 2020
Un Texte de Maurice Confiné (2)
Pas moi. Non, je ne suis pas de ces salvadoristes acharnés du boulot qui ne font pas de vieux os et prennent le métro mais oublient de le rendre.
Si je prends le métro, si je me laisse, à mes risques et périls, prendre par le métro, si je paye chaque mois l’abonnement (par prélèvement) me garantissant un accès quasi illimité (le métro est fermé entre 2h et 5h du matin) aux souterrains de velours, ce n’est pas pour aller travailler (je le fais très bien (et le moins possible) de chez moi, travailler, confortablement assis à mon bureau... pourquoi un tel mensonge ? dans quel but ? enjoliver ma condition d’artiste raté ?... ma position à mon bureau n’a, en réalité, rien de confortable... je n’en possède pas de fauteuil, de bureau... seulement une vieille chaise pliante en bois dur... l’écriture de ce court texte m’aura valu une crise hémorroïdaire et des escarres aux fessiers), c’est certes parfois pour dormir (les secousses du métro me bercent et me livrent pieds et poings fermés au sommeil plus prestement qu’un épisode de série télévisée policière germanique), c’est surtout et essentiellement pour la musique.
Je suis un fou de musique. J’en écoute tout le temps. Au casque, à me rendre sourd. Sur la chaîne hi-fi, volume sonore poussé au maximum. En CD. En vinyle. En mp3. En K7 - non, je plaisante, pas en K7, je ne vis pas en 1979. Seul. Accompagné - parfois bien mal. En concert. Du rock. Du jazz. Du classique. De l’électro. De la soul. De la soupe. Du blues. Du reggae. Du folk. De la pop. Des variétés. Je suis insatiable. Boulimique.
Je suis constamment à la recherche de nouveaux sons, de nouvelles voix, de nouvelles voies. J’aime être surpris. Étonné. Pris au dépourvu. Déstabilisé. J’hante les médiathèques et les disquaires, je cours les soirées live des pubs, j’écume les clubs et les boîtes, je flâne sur YouTube et Deezer et Spotify, j’allume le matin la radio (fréquence : 105.1) avant même d’ouvrir les yeux...
Il n’est cependant de meilleur endroit au monde que le métro, ses couloirs et ses wagons, pour étancher ma soif de découverte musicale.
L’univers métropolitain est, de mon très pertinent point de vue, un univers entièrement dédié au son et, par conséquent, à la musique. Biologiquement, physiquement, physiologiquement, psychiquement consacré au son et, par conséquent, à la musique. De très sérieuses études menées par de très sérieux et rigoureux et respectés et éminents scientifiques ont en effet montré qu’un homme privé d’un ou de plusieurs sens, compense cette, si j’ose dire, infirmité en aiguisant ses autres sens, qui se trouvent donc renforcés. Or, l’odeur d’urine qui règne dans le monde souterrain me force à me boucher les narines et me coupe l’appétit tandis que toucher quoi que ce soit pourrait me valoir une infection et un séjour à l’hôpital - où règne un silence peu exaltant. Quant aux usagers du métro, ils n’aiment guère être observés, reluqués, scrutés, dévisagés...
Ne me reste que l’ouïe, le seul de mes sens libre de s’épanouir, qui peut alors donner sa pleine mesure (6/4). Pour le mélomane que je suis, le métro s’apparente à un inépuisable terrain de chasse jeu...
mardi 31 mars 2020
Un Texte de Maurice Confiné (1)
Dans le Métro
L’usager du métropolitain est plus prévisible que les coups de marteau du voisin lors de l’inauguration de ma sieste ante-méridienne, plus prévisible que l’apparition de certains symptômes liés à la Covid-19 (déshydratation, souffle court, sensation de fatigue) après un marathon, plus prévisible encore que l’incompétence crasse de nos gouvernants à gérer efficacement une crise. L’usager régulier du métro, celui qui d’un geste rapide, mécanique, plaque son badge d’accès (appelé Pass Navigo) sur la borne de validation des titres de transport et franchit sans même ralentir les portiques d’accès aux couloirs émaillés de carreaux blancs et parfumés à l’ammoniaque est plus prévisible encore : il est plus facile à décrypter qu’un article de 20 Minutes.
Demandez-leur, aux usagers du métro, pourquoi ils le prennent, le métro - idiotisme un peu étrange, il me semble, prendre le métro, dès lors que c’est le métro qui accueille les usagers en son sein, que c’est le métro qui, donc, les prend, les usagers, davantage que ce n’est l’inverse - pourquoi ils se serrent ainsi, dans les wagons, les uns aux autres et échangent plus de fluides corporels (sueur, larmes, postillons... ; par inhalation directe ou par contacts successifs avec les barres de métal destinées à faciliter, malgré les mouvements de la rame, la station debout) qu’un acteur et une actrice lors du tournage d’une scène d’un film pour adultes, pourquoi ils s’entassent ainsi, volontairement, dans un espace aussi confiné - Dans le Métro, va finir par croire le lecteur en quarantaine, est décidément un texte de circonstances - ils vous répondront - du moins, ceux qui accepteront de vous répondre ; ils ne sont, en général, pas nombreux, les usagers du métropolitain enclins à entamer une conversation avec un ou une inconnu(e) - qu’ils se rendent à leur travail ou, au contraire, rentrent du boulot, heigh-ho ! heigh-ho ! selon un mouvement que certains spécialistes des comportements humains contemporains qualifient de déplacement pendulaire et que d’autres résument plus lapidairement par l’expression métro-boulot-dodo.
On reconnaît bien, dans l’usager du métro, l’homo capitalisticus, qui ne vit en semaine que pour gagner de quoi mériter et s’autoriser un court repos dominical - repos qui lui permettra de supporter une nouvelle semaine de labeur. On reconnaît bien, dans l’usager du métro, le workaholic qui à la question Que faites-vous dans la vie ? est incapable de répondre qu’il respire, mange, boit, baise, se promène, rit, pleure, écoute, regarde, goûte, touche, sent, ressent, poétise, s’émeut, souffre, s’enthousiasme... et se contente de réciter son curriculum vitae et de vanter sa position sociale. Rien d’autre ne compte dans l’existence de l’homo economicus que son travail qui, il en est persuadé, ce pauvre fou, le rend chaque jour un peu plus libre. Privez-le de son occupation professionnelle, le voilà désoeuvré, il se meurt et se morfond au fond de son lit. Quand pourrai-je enfin retrouver le chemin de mon activité qui est à la fois mon identité et ma raison d’être ? Quand pourrai-je reprendre le métro et retourner au turbin ?
vendredi 15 novembre 2019
Nouvelle Chevillardise (2/2)
Non, pas moi. Certainement pas moi. Je ne me mêle pas, moi, à cet accord majeur.
Dès que les lumières de la fosse s'éteignent, avant même que les vedettes du jour déboulent sur scène et que les premières notes pleines de distorsion du récital électrisé déraisonnent la foule surexcitée des spectateurs, je sors par la grande porte, montrant le plus ostensiblement possible ma complète indifférence, mon total mépris pour ce qui va suivre. Et je m'en vais déambuler des heures et des heures par les boulevards, incapable de lever la tête et de regarder autre chose que mes pieds (ce qu'on appelle du shoegazing ou du shoegaze) qui se mêlent alternativement aux reflets des réverbères sur l'asphalte, jusqu'à ce que je parvienne à reprendre mes esprits.
Ce ne sont pas les idoles bodybluesées qui me chamboulent, me tourneboulent, me bouleversent de la sorte ; ainsi que je l'ai dit, je pars avant même que les amplis ne se mettent à cracher leur infernal boucan. Le groupe, les chansons, les roulements du batteur, les soli du gratteux, les hululements et les raclements de gorge du braillard au microphone, l'ambiance de la salle, les vibrations de la foule, le jeu de lumières, la mise en scène du show, tout cela m'importe bien peu. Je ne suis pas là pour me saouler, ni de bière ni de son.
Moi, si je suis venu, c'est pour le véritable spectacle, le plus beau, le plus subtil, le plus authentique, celui qui se passe entre les différents sets. Sans me lasser, en fin connaisseur, je me délecte du travail des techniciens, des roadies comme on les appelle dans le milieu, qui entre les passages de deux groupes, installent et rangent le matériel et procèdent aux multiples vérifications nécessaires pour que le concert puisse avoir lieu sans souci.
Il faut les voir, sur les planches, les techniciens, les bras chargés, se frôler, se côtoyer, s'éviter, se rencontrer, se contourner, se croiser. Jamais ils ne se gênent les uns les autres. Malgré la difficulté de la tâche, malgré le peu de temps alloué pour leur oeuvre, malgré l'exigüité des lieux, ils se déplacent sans jamais se couper la route, ils vont et viennent en tous sens sans se percuter. La chorégraphie est bien huilée, les trajectoires sont inventives : c'est un ballet saisissant, inoubliable pour qui sait y prêter attention.
Et encore, s'ils ne faisaient, sur cette scène, que se mouvoir comme autant de petits rats... Mais non, ils ne s'en contentent pas... pour rendre leur performance plus époustouflante encore, ils en augmentent la difficulté et s'encombrent d'engins dignes de la GRS.
Il faut les voir avec leurs câbles... comme ils les branchent, les débranchent, les rebranchent... des câbles de raideurs, d'épaisseurs, de longueurs, de couleurs, d'utilisations différentes... comme ils les déroulent, les réenroulent, les déploient, se les lancent les uns aux autres... comme les câbles semblent voler, s'envoler, atterrissent toujours à l'endroit souhaité, sans jamais se mêler. S'ils portaient mieux le justaucorps à paillettes, les roadies à coup sûr seraient champions olympiques, spécialité ruban.
Et comme si ce n'était pas encore assez, ils en appellent à d'autres domaines artistiques... ces morceaux d'adhésifs qu'ils sèment et collent partout... pour fixer, repérer, informer... avec des scotchs de différentes couleurs... des morceaux de tailles variées, déposés à droite, à gauche, en haut, en bas tandis qu'ils arpentent la scène... c'est digne de Mondrian préparant une nouvelle toile avec ses bandes de couleur...
Et, enfin, surtout, mon moment préféré. Celui qui a coup sûr m'arrache des larmes et des cris et des bravos (devrait-on dire des bravi ?) et des hourra et des bis... les test-son. Les musiciens feraient bien de plus souvent jeter une oreille à la musique de leurs techniciens.
Le batteur qui s'échine à imprimer la pulsation de son groupe n'arrivera jamais à la tribalité de son technicien qui, en quelques frappes sèches, isolées, violentes, accorde les fûts. Le chanteur qui pendant deux heures hurlera toute sa rage, toute sa frustration (le rock est la musique de la révolte et de la colère), a t'il conscience que le technicien qui a vérifié son micro a réussi, lui, avec ses onomatopées et ses monosyllabes à exprimer (sans qu'il y ait besoin d'y ajouter quoi que ce soit) toute la vanité et l'absurdité de notre société ?
Et a-t-on déjà vu un roadie se lancer dans un solo furieux et technique, pendant qu'il accorde les guitares ? Non, jamais. Il joue corde après corde, une seule à la fois. Doucement, lentement. C'est à chaque fois un éloge de la simplicité, un exemple d'anti virtuosité, c'est l'émotion de la musique à l'état pur, sans chichi ni démonstration... jusqu'à atteindre la note parfaite, la note exacte, la note juste... mi puis si puis sol puis ré puis la puis mi de nouveau... le reste n'est que superflu.
Ce ne sont pas les idoles bodybluesées qui me chamboulent, me tourneboulent, me bouleversent de la sorte ; ainsi que je l'ai dit, je pars avant même que les amplis ne se mettent à cracher leur infernal boucan. Le groupe, les chansons, les roulements du batteur, les soli du gratteux, les hululements et les raclements de gorge du braillard au microphone, l'ambiance de la salle, les vibrations de la foule, le jeu de lumières, la mise en scène du show, tout cela m'importe bien peu. Je ne suis pas là pour me saouler, ni de bière ni de son.
Moi, si je suis venu, c'est pour le véritable spectacle, le plus beau, le plus subtil, le plus authentique, celui qui se passe entre les différents sets. Sans me lasser, en fin connaisseur, je me délecte du travail des techniciens, des roadies comme on les appelle dans le milieu, qui entre les passages de deux groupes, installent et rangent le matériel et procèdent aux multiples vérifications nécessaires pour que le concert puisse avoir lieu sans souci.
Il faut les voir, sur les planches, les techniciens, les bras chargés, se frôler, se côtoyer, s'éviter, se rencontrer, se contourner, se croiser. Jamais ils ne se gênent les uns les autres. Malgré la difficulté de la tâche, malgré le peu de temps alloué pour leur oeuvre, malgré l'exigüité des lieux, ils se déplacent sans jamais se couper la route, ils vont et viennent en tous sens sans se percuter. La chorégraphie est bien huilée, les trajectoires sont inventives : c'est un ballet saisissant, inoubliable pour qui sait y prêter attention.
Et encore, s'ils ne faisaient, sur cette scène, que se mouvoir comme autant de petits rats... Mais non, ils ne s'en contentent pas... pour rendre leur performance plus époustouflante encore, ils en augmentent la difficulté et s'encombrent d'engins dignes de la GRS.
Il faut les voir avec leurs câbles... comme ils les branchent, les débranchent, les rebranchent... des câbles de raideurs, d'épaisseurs, de longueurs, de couleurs, d'utilisations différentes... comme ils les déroulent, les réenroulent, les déploient, se les lancent les uns aux autres... comme les câbles semblent voler, s'envoler, atterrissent toujours à l'endroit souhaité, sans jamais se mêler. S'ils portaient mieux le justaucorps à paillettes, les roadies à coup sûr seraient champions olympiques, spécialité ruban.
Et comme si ce n'était pas encore assez, ils en appellent à d'autres domaines artistiques... ces morceaux d'adhésifs qu'ils sèment et collent partout... pour fixer, repérer, informer... avec des scotchs de différentes couleurs... des morceaux de tailles variées, déposés à droite, à gauche, en haut, en bas tandis qu'ils arpentent la scène... c'est digne de Mondrian préparant une nouvelle toile avec ses bandes de couleur...
Et, enfin, surtout, mon moment préféré. Celui qui a coup sûr m'arrache des larmes et des cris et des bravos (devrait-on dire des bravi ?) et des hourra et des bis... les test-son. Les musiciens feraient bien de plus souvent jeter une oreille à la musique de leurs techniciens.
Le batteur qui s'échine à imprimer la pulsation de son groupe n'arrivera jamais à la tribalité de son technicien qui, en quelques frappes sèches, isolées, violentes, accorde les fûts. Le chanteur qui pendant deux heures hurlera toute sa rage, toute sa frustration (le rock est la musique de la révolte et de la colère), a t'il conscience que le technicien qui a vérifié son micro a réussi, lui, avec ses onomatopées et ses monosyllabes à exprimer (sans qu'il y ait besoin d'y ajouter quoi que ce soit) toute la vanité et l'absurdité de notre société ?
Et a-t-on déjà vu un roadie se lancer dans un solo furieux et technique, pendant qu'il accorde les guitares ? Non, jamais. Il joue corde après corde, une seule à la fois. Doucement, lentement. C'est à chaque fois un éloge de la simplicité, un exemple d'anti virtuosité, c'est l'émotion de la musique à l'état pur, sans chichi ni démonstration... jusqu'à atteindre la note parfaite, la note exacte, la note juste... mi puis si puis sol puis ré puis la puis mi de nouveau... le reste n'est que superflu.
jeudi 14 novembre 2019
Nouvelle Chevillardise (1/2)
Inspiré d'une histoire presque vraie.
Au Concert
Les amateurs de rock sont plus grégaires que les bergers qui suivent leurs moutons durant la transhumance, plus prévisibles que l'ennui qui pointe au collège lors des cours de technologie, moins surprenants que les douleurs aux mollets après un marathon.
Annoncez la venue du groupe du moment (titre purement honorifique (mais ô combien vendeur) autrefois décerné (pour une période variant de une à trois semaines) par le New Musical Express (ou NME), ex-référence britonne de la presse musicale) dans une salle parisienne, vous verrez les rockeux se ruer vers la billetterie la plus proche ou s'acharner sur la touche F5 de leur clavier d'ordinateur pour arracher le précieux sésame qui leur ouvrira les portes du concert à ne pas manquer. Vous les apercevrez ensuite, qu'il pleuve ou vente ou neige ou que le soleil fasse fondre le macadam du trottoir, lookés comme il n'est plus permis depuis le vrai faux décès de Ziggy Stardust (3 juillet 1973), faire la queue devant l'entrée de la salle de longues heures durant, parfois même depuis la veille voire l'avant-veille du concert, afin de se garantir les places les plus proches de la scène où sévira le sempiternel quatuor guitare / basse / batterie / chant.
Dans quel but ? Écouter de la musique... en prendre plein les oreilles, se saturer les tympans de décibels, sentir vibrer la basse et la grosse caisse dans la poitrine, hurler à tue-tête des refrains en anglais qui paraissent stupides une fois traduits dans la languede Molière d'Éric Chevillard, pogoter, sauter (plus ou moins) en rythme, bref... vivre la musique...
Demandez à tous ces fans de musique rock, psychédélique, rhythm'n'blues, métal, hard, lo-fi, progressif, punk, new-wave, no-wave (liste loin d'être exhaustive) pourquoi ils sont venus, pourquoi ils ont dépensé 40, 50, 60, 80 euros pour leur billet de concert. Invariablement, comme s'ils reprenaient en chœur un refrain d'hymne de stade (le stade de France programme dans l'année plus de spectacles et de concerts, y compris rock, que de matches de football et de rugby réunis), comme s'ils avaient appris, livret du CD en main, leur ritournelle par cœur, ils vont répondront sans surprise aucune qu'ils sont venus... voir et écouter jouer le groupe.
Les plus audacieux (certainement conscients de leur manque d'originalité) avanceront qu'ils profitent également de l'occasion pour découvrir l'autre groupe, celui qui joue en première partie ou qu'ils apprécient aussi, lors des concerts, se retrouver et boire une mousse entre copains. Néanmoins, tous admettront que c'est le groupe dont le nom s'affiche en grosses lettres de néon rouge sur la façade de l'immeuble, au-dessus de l'entrée, le groupe en tête d'affiche qui les a attirés dans cette salle à l'odeur de chaussettes sales, de sueur, d'urine et de bière tiède et les oblige à supporter bousculades, orteils écrasés et acouphènes (pour ne citer que quelques-uns des indésirables effets secondaires répertoriés d'un concert de rock).
Pas moi.
Dans quel but ? Écouter de la musique... en prendre plein les oreilles, se saturer les tympans de décibels, sentir vibrer la basse et la grosse caisse dans la poitrine, hurler à tue-tête des refrains en anglais qui paraissent stupides une fois traduits dans la langue
Demandez à tous ces fans de musique rock, psychédélique, rhythm'n'blues, métal, hard, lo-fi, progressif, punk, new-wave, no-wave (liste loin d'être exhaustive) pourquoi ils sont venus, pourquoi ils ont dépensé 40, 50, 60, 80 euros pour leur billet de concert. Invariablement, comme s'ils reprenaient en chœur un refrain d'hymne de stade (le stade de France programme dans l'année plus de spectacles et de concerts, y compris rock, que de matches de football et de rugby réunis), comme s'ils avaient appris, livret du CD en main, leur ritournelle par cœur, ils vont répondront sans surprise aucune qu'ils sont venus... voir et écouter jouer le groupe.
Les plus audacieux (certainement conscients de leur manque d'originalité) avanceront qu'ils profitent également de l'occasion pour découvrir l'autre groupe, celui qui joue en première partie ou qu'ils apprécient aussi, lors des concerts, se retrouver et boire une mousse entre copains. Néanmoins, tous admettront que c'est le groupe dont le nom s'affiche en grosses lettres de néon rouge sur la façade de l'immeuble, au-dessus de l'entrée, le groupe en tête d'affiche qui les a attirés dans cette salle à l'odeur de chaussettes sales, de sueur, d'urine et de bière tiède et les oblige à supporter bousculades, orteils écrasés et acouphènes (pour ne citer que quelques-uns des indésirables effets secondaires répertoriés d'un concert de rock).
Pas moi.
samedi 1 juin 2019
La Bibliothèque de Babel (3)
Dans certains - à vrai dire dans de nombreux - volumes de la bibliothèque de Babel, l'un ou l'autre de mes textes se trouve au milieu de textes de Borges, Chevillard, Gombrowicz, Bernhard, Martinet, Topor... j'accepte cette reconnaissance avec respect et humilité.
Dans certains - à vrai dire dans de nombreux - volumes de la bibliothèque de Babel, un texte de Borges ou de Chevillard, Gombrowicz, Bernhard, Martinet, Topor... s'est glissé au milieu des miens... cette confusion m'honore, je ne ferai rien pour dissiper le malentendu...
Certains - à vrai dire de nombreux - volumes de la bibliothèque de Babel, contiennent les mots suivants "la bibliothèque de Babel par MLM" ainsi que ses variantes "la bibliothèque de Babel par Maurice L. Maurice", "la bibliothèque de Babel de Maurice L Maurice" etc.
Il était temps que soit reconnue ma paternité sur ce texte absolument génial que j'aurais voulu écrire...
Dans la bibliothèque de Babel, il y a aussi d'innombrables volumes contenant "Et si c'était vrai par MLM", "Stupeur et Tremblements par MLM", "Le Da Vinci Code par MLM" etc.
Je vous préviens, j'exigerai un test ADN avant de reconnaître ma paternité sur tous ces petits bâtards...
Dans la bibliothèque de Babel, il y a aussi d'innombrables volumes contenant "Et si c'était vrai par MLM", "Stupeur et Tremblements par MLM", "Le Da Vinci Code par MLM" etc.
Je vous préviens, j'exigerai un test ADN avant de reconnaître ma paternité sur tous ces petits bâtards...
vendredi 31 mai 2019
La Bibliothèque de Babel (2)
Certains de mes lecteurs (qui préfèrent rester anonymes) ont trouvé Pinces trop long, trop tordu, trop n'importe quoi... bref, en un mot : illisible. Qu'ils s'imaginent le nombre de volumes de la bibliothèque de Babel ne contenant que Pinces. Pinces répété, en boucle, Pinces avec des fautes, Pinces en anglais, Pinces en anglais avec des fautes, Pinces en espagnol, allemand, latin, portugais, frison-roche, néerlandais, polonais, Pinces où il manque un mot, deux mots, douze mots, une phrase, cinq phrases, Pinces dans ses différentes versions de travail, des versions de travail de Pinces traduites en anglais, allemand, Pinces en verlan, Pinces retourné, tronqué, découpé, pulvérisé, éparpillé façon puzzle...
Pinces pris seul, comme un texte unique de deux ou trois pages, ne semble plus si long et indigeste désormais, si ?
Et le nombre de volumes consacrés à mes pleurnicheries, reprises en boucle, y avez-vous songé ?
Quand je pense au nombre de volumes de la bibliothèque de Babel dont on peut (plus ou moins) m'attribuer la paternité, j'ai le tournis... Quel poids sur les rayonnages... j'ai bien mérité un peu de repos... je n'écrirai pas aujourd'hui...
Que le lecteur lassé de ma prose et de mes poemlm se rassure, malgré le nombre proprement effrayant de volumes consacrés à mes œuvres - ou à des textes apparentés - ceux-ci ne représentent qu'une quantité infinitésimale des livres contenus dans la Bibliothèque de Babel. Il a donc tout lieu d'espérer échapper à mes scribouillardises en y piochant au hasard un volume.
Pour être sûr d'échapper à mes textes, le plus simple reste cependant d'éviter la bibliothèque de Babel et de se rendre en librairie ou dans la bibliothèque municipale la plus proche...
Que le lecteur lassé de ma prose et de mes poemlm se rassure, malgré le nombre proprement effrayant de volumes consacrés à mes œuvres - ou à des textes apparentés - ceux-ci ne représentent qu'une quantité infinitésimale des livres contenus dans la Bibliothèque de Babel. Il a donc tout lieu d'espérer échapper à mes scribouillardises en y piochant au hasard un volume.
Pour être sûr d'échapper à mes textes, le plus simple reste cependant d'éviter la bibliothèque de Babel et de se rendre en librairie ou dans la bibliothèque municipale la plus proche...
jeudi 30 mai 2019
La Bibliothèque de Babel (1)
Un jour, avec les progrès de l'Intelligence Artificielle et des techniques de stockage, les ordinateurs réaliseront consciemment le projet borgésien de La Bibliothèque de Babel, bibliothèque comprenant tous les livres possibles - qu'ils aient un sens ou non - de 410 pages de 40 lignes de 80 caractères possibles (parmi les 25 signes disponibles - 22 lettres, la virgule, le point et l'espace).
Je propose, tant qu'il reste un peu d'humanité dans la littérature, qu'on prenne les ordinateurs de vitesse et qu'on s'attelle à ce projet dès maintenant, avant qu'il ne soit trop tard. Le projet est titanesque mais pas impossible puisque le nombre de livre de ce format n'est pas infini - ce nombre est même très exactement de 25^(410 x 40 x 80).
Pour ma part, je me suis déjà chargé du volume où l'usage des seules touches "espace" et "entrée" de mon clavier est nécessaire.
Il est indispensable que je termine mes textes, que j'achève leur écriture, même s'ils sont mauvais. Surtout s'ils sont mauvais.
Ainsi les bons écrivains, les grands écrivains ne perdront pas de temps à les écrire.
Concentrez-vous sur vos chefs-d'œuvre, je m'occupe du reste.
vendredi 25 janvier 2019
Paréidolie
Kosmos
Ai passé la journée au lit. Toute la journée. Au lit. Dans mon lit. Sur
mon lit. Sur le dos. Allongé.
À ne rien faire.
Je ne crois pas qu’il soit possible de ne rien faire. De ne vraiment
faire rien.
Sans vouloir parodier papy Hamlet, être (allongé, par exemple) quand existe l’éventualité de ne pas être (allongé, par exemple),
n’est-ce pas déjà faire ? Renoncer
à faire quoi que ce soit (pour autant qu’il est possible de ne faire quoi que
ce soit), n’est-ce pas déjà faire ? Exister, vivre, n’est-ce pas déjà faire ? faire quelque chose ? J’aurais dû,
probablement, au lieu de « à ne rien faire », plutôt dire « à ne rien
faire de concret, de tangible » ou « à ne rien produire » mais ce texte déborde
déjà de lourdeurs superflues. Simplifions, donc : À ne rien faire.
À regarder. À scruter. Le plafond. Blanc. Lépreux. À chercher. Chercher encore
et encore. Sans lassitude. Chercher dans les failles. Dans les fissures. Dans les moindres fissures.
Dans les petits éclats de peinture. Dans les tâches aux couleurs aussi incertaines (noirâtres ? grisâtres ? brunâtres ? jaunâtres ?) que leur l'origine. Dans les ombres qui traversent lentement, au fil du jour, la pièce. Et même dans les petits insectes qui se baladent sens dessus-dessous, sans
visiblement s’apercevoir qu’ils se meuvent pattes en l’air, collées au plafond blanc, lépreux.
Toute la journée,
à regarder, à chercher.
À
l’horizontale. Une heure puis deux. Rien. Trois. Rien, toujours rien. Quatre.
Fissures, trace de peinture plus claire, plus récente, tâche d’humidité, rien.
Cinq, six, sept, huit. Rien de rien.
Non,
définitivement rien.
Mes efforts de concentration furent vains, inutiles. Le temps (et donc
l’argent) ainsi perdu, définitivement gaspillé. Il n’y avait rien. Rien, non, rien. Pour moi, il n’y avait rien. Rien de particulier. Rien que de terre à terre. Les fissures n’étaient
que des fissures. Dans les tâches de moisissures, je ne voyais que des tâches
de moisissure, dans les déplacements des insectes que des insectes qui se
déplacent, un peu au hasard, de fissures (qui n’étaient que des fissures) en
fissures, d’éclat de peinture (rien d’autre que des éclats de peinture) en
éclat de peinture.
Ni image ni
grand dessein. Pas même une esquisse. Aucun message. Aucune
figure remarquable qui me saute aux yeux dans tous ces éléments, dans leur disposition. Aucun plan, secret ou non. Pas l'ombre d'une droite ou d'une flèche. Pas même une direction privilégiée. Chaos, hasard, néant. Nada.
Les signes étaient... sont pourtant là, évidents, nombreux, riches. À disposition. Offerts.
Je ne sais y lire. Je ne sais y trouver. Je ne sais y découvrir. Y inventer.
Quel foutu poète je fais… me montrerait-on un nuage que je serais incapable d’y voir un mouton.
lundi 14 janvier 2019
Chevillardise
La visite à l'expo
L’amateur d’art et de peinture en particulier est plus prévisible que
le retour du premier janvier tous les trois cent soixante cinq jours et quart,
plus prévisible que la panne de réveil du dimanche matin, plus prévisible que
la séparation du bon grain de l’ivresse. L’amateur éclairé, qui ne se contente
pas d’aller au musée deux trois fois
l’an visiter les collections permanentes,
mais pousse son vice jusque dans les plus obscures contrées, à la poursuite de grandes
rétrospectives et d’accrochages inédits, est plus prévisible encore - on peut
lire ses intentions comme dans un catalogue d’exposition ouvert.
Entendrais-je une protestation ? Un désaccord ? Que me
permet de juger ainsi mes contemporains ? Clichés et préjugés que cette
moutonnerie, ce suivisme que je dénonce ? Me jugerais-je au-dessus de mes
semblables ?
Faites vous-même l’expérience… Imprimez donc un questionnaire et
distribuez-le à la sortie, par exemple, de l’exposition « Henri-Edmond Cross,
peindre le bonheur » (Musée des Impressionnismes, Giverny, Museum
Barberini, Potsdam). Profitez-en pour dilapider la ramette – que vous gardez précieusement dans le tiroir
du bas de votre bureau en attendant
l’inspiration – de feuilles blanches auxquelles vous destiniez les phrases
interminables et les jeux de mot désolants de ce sixième (serait-ce
déjà le septième ? seulement le cinquième ?) et impubliable (tout comme les précédents) roman qui vous rapprocherait
un peu plus du statut si convoité de génie incompris. Vous n’aurez de toute
façon pas de sitôt le courage de vous mettre à l’écrire, ce roman...
Comme dans les sondages inutiles de fin de journal télévisé, nulle
surprise à attendre des réponses des visiteurs. Invariablement, sans
originalité aucune, avec, certes, plus ou moins de lyrisme, les Crossiverbistes
vous raconteront qu’ils sont venus se faire des toiles, qu’ils sont venus voir
/ regarder / admirer (rayer les mentions inutiles) les œuvres de ce Delacroix qui avait pris pseudonyme pour
ne pas être eugêné par la trop grande notoriété d’un homonyme prédécesseur, qu’ils
ont découvert un artiste trop souvent sous-estimé, qu’ils ont particulièrement
été séduits par le tableau intitulé « Les Îles d’Or » où le Maître
touche à l’Abstrait (le fascicule distribué à l’entrée insiste sur l’importance
dudit tableau) et qu’ils ont ressenti un grand apaisement, presque du Bonheur (c'est bien cela qu'il s'agissait de peindre),
devant les tableaux où s’étalent, harmonieux, baignés de lumière du Sud, de splendides
paysages méditerranéens – ah, cette eau… oh, ce sable… et ces rochers !!! et ces
arbres exubérants…
Pas moi ! Ah ça, non, pas moi... je ne mange pas de ce pin parasol
là ! Je suis un visiteur d’un tout autre acabit, d’une toute autre espèce.
Je ne me satisfais pas de ce dont on me gave, je ne tète pas le sein qu’on me
tend sans y regarder à deux fois. Quand le sage désigne la lune, je ne tourne
pas la tête vers les cieux, je me concentre sur le doigt, j’inspecte ses ongles
– ni sales ni rongés – je grimace devant les poils disgracieux des phalanges et
je souris devant les tâches d’encre laissées sur la peau par l’écriture d’un
traité que s’arracheront les amateurs d’ésotérisme bon marché.
Je ne suis pas là, comme tous ses lecteurs de Beaux-Arts ou de
Connaissance des Arts, pour scruter loupe en main les touches de pigment pur de
ce cher Edmond… très peu pour moi. Ce qui m’attire ici est d’une ampleur toute
autre. Si j’aime les expositions, si je les cours, si je suis venu visiter cette exposition, si je paye – cher – mon billet
d’entrée, c’est pour les cloisons, pour les murs intérieurs fraîchement repeints auxquels
sont suspendues les œuvres. Je parcoure, enthousiaste, ému, excité, les différents espaces
de l’exposition, mon nuancier Dulux
Valentine à la main. J’applaudis des deux mains (peut-on applaudir d’une seule ?)
le choix du Rouge de Falun profond pour la salle consacrée aux œuvres de
jeunesse. Je reste stupéfait, cois, devant l’audace de ce Bleu grand Klein mat pour
les premières toiles néo-impressionniste... qui, à la réflexion, s’impose comme
une évidence. Je ne suis pas d’emblée convaincu mais me laisse séduire par le Vert Aile-de-Mouche choisi pour sa dernière période, sa période cacochyme. Et
ce Jaune Ras-el-Hanout clair ! Et ce Fuchsia pastel satiné ! Que de
merveilles….
Et si je prends tout le recul permis par l’exiguïté des salles, ce
n’est pas pour admirer la hardiesse des compositions de Cross ou la richesse et
l’originalité de sa palette, c'est, au contraire, pour adopter une vue d’ensemble sur les
cimaises, large panorama unicolore où les tableaux ne constituent plus pour mon plaisir qu’une petite
gêne dont je peux m'accommoder, comparable à celle de tâches de vin sur une nappe blanche. Je n’aime rien
tant que ces immenses monochromes sur plâtre ou sur aggloméré. Tant qu’à m’abreuver
de couleur pure, autant que ce soit par pan de mur entier et non par petites
gorgées – je ne suis pas un Bergotte de Delft.
Après les vues d’ensemble, je ne suis pas repu, loin de là. Je
m’attaque aux détails, aux finitions. J’utilise la lumière douce des spots
censés éclairer les œuvres pour admirer la perfection avec laquelle le rouleau
a été passé sur les cloisons, sans laisser la moindre trace - parfaite lissitude des aplats. Un œil fermé, à
quatre pattes sur le parquet, je colle ma tête contre les murs, à 15 cm du sol pour constater que
les véritables artistes exposés dans ces salles – et des artistes bien vivants,
eux, qui ne devraient pas avoir à attendre la posthumilité pour se faire des
noms – ont fait preuve d’une technique exemplaire pour ne jamais déborder sur les plinthes. Et,
dès que le gardien, ce garant de l’académisme grégaire, a le dos tourné, je
soulève les cadres pour relever les dégâts... C’est en effet la pire
conséquence de cette accumulation d’huiles et de dessins et d’aquarelles : ils laissent sur les murs, avec le temps qui passe, due aux
différences de luminosité et d’exposition à la poussière, une trace rectangulaire
de leur passage et rompent l’uniformité des teintes. L’artisan, avec une facilité déconcertante, avait touché à l’essentiel, à l’essence de la peinture. Cette évidence ne peut rester longtemps inviolée.
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