dimanche 12 janvier 2020

En Retard (24)

Je suis soulagé de ne pouvoir me payer de ticket de métro. J'espère ne jamais à la fois avoir besoin de me payer un ticket de métro et avoir les moyens de me payer un ticket de métro. Sinon, comment alors renoncer à m'acheter un ticket de métro ? Comment pourrais-je m'empêcher si, simultanément, je dois et je peux ?
Le ticket de métro est un marqueur. Un signe. Un symbole. Un stigmate. De non-parisianisme. Le ticket de métro est prévu pour les touristes. Pour les étrangers. Les provinciaux. Les Parisiens, les vrais, possèdent tous leur Pass Navigo - le mien est dans mon portefeuille - qu'ils chérissent et exhibent avec la même fierté que les Saint-Marinais, leur passeport : jamais ils n'utilisent de ticket.
Quel drame personnel ce serait si je devais passer le portique d'accès aux couloirs du métro à l'aide d'un ticket. J'imagine les regards. Les commentaires. Encore un de ceux-là. Un de ces voyageurs à ticket. Un de ceux qui, rentrés chez eux, critiquent Paris et ses rues bruyantes et ses habitants peu accueillants et son métro dégueulasse. Et qui, pourtant ne peuvent s'empêcher de venir et de revenir ici, à Paris, et de bonder nos rames de métro. J'en frissonne. Que l'on puisse penser de moi cela. Moi qui n'aime rien plus que le métro. Une honte insupportable ce serait. Un affront insurmontable. Pourrais-je m'en remettre ? Je préfère ne pas tenter le diable.


Je n'achèterai pas de ticket. D'autant plus qu'il est si difficile de s'acheter un ticket de métro. Tout est fait, organisé, pour que l'on n'achète pas de ticket de métro. Tout est conçu pour que le ticket de métro soit le plus inaccessible possible. Tous les obstacles imaginables ont été dressés entre le potentiel acheteur de tickets de métro et le ticket de métro. Acheter un ticket de métro est un parcours du combattant, un chemin de croix et un voyage en Épépé. Bref, une galère sans nom et sans fin.

Dans les stations, il n'y a plus qu'un seul guichet où acheter son ticket de métro auprès une présence humaine. Les autres guichets ont été peu à peu supprimés au cours des années. Remplacés par des distributeurs automatiques. Dont l'écran tactile ne fonctionne jamais tout à fait correctement. Ou dont la molette qui permet de faire sa sélection ne réagit pas. Et quand, enfin, après de longues minutes de combat contre la machine, vient le moment de payer, c'est le terminal de carte bleue qui est en rade... et il faut se tourner vers le guichet.
Pour accéder au guichet, il faut d'abord survivre à l'attente au milieu de la foule. Interminable. La queue devant le guichet est toujours immense. Constituée d'une proportion anormalement élevée de vieux personnes âgées. Qui étaient peut-être - l'hypothèse n'est pas à rejeter a priori - encore jeunes quand elles ont rejoint la file d'attente - tant de temps perdu. Et qui parviennent, avec un naturel désarmant qui ne s'acquiert qu'avec l'expérience, à poser des dizaines de questions inutiles (c'est d'ailleurs souvent la même question posée de dizaines de façons différentes) au vendeur avant de lui acheter un ticket - perpétuel ralentissement du rythme de progression de la queue.
Et pour ceux qui auront vécu suffisamment longtemps pour atteindre le guichet, l'hygiaphone qui sépare le client, l'usager, de son interlocuteur ratpiste déformera les mots dans un sens et dans l'autre, assurant ainsi la plus parfaite incompréhension entre le client et le vendeur - épreuve ultime, obstacle infranchissable...


Je crois que j'en fais un peu trop... Dès qu'il s'agit de me caricaturer en Parisien extrémiste détestant tout ce qui ne se compte pas en arrondissements, je ne sais plus m'arrêter, je ne parviens plus à m'en tenir à d'acceptables limites. J'en ajoute et en rajoute. Non seulement je perds du temps alors que je suis déjà en retard (et même très en retard) mais, de plus, je risque de m'aliéner mon lectorat d'outre-périph'.
Il s'agirait à présent de me remettre rapidement en mouvement...

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