dimanche 15 mars 2020

En Retard (39)

Le doyen du wagon, plus expérimenté en matière de temps qui passe que n’importe quel usager présent, constatant que personne ne se bouge pour remettre le temps en route et les pendules à l’heure, se lève. Se redresser ainsi depuis son siège semble lui être aussi pénible physiquement qu’intellectuellement agréable. Il sait que c’est son moment. Il en profite. Il savoure. Il en jouit d’avance.
Toute l’attention se braque sur sa haute (bien que voûtée) stature. Il ignore son public. Son public lui est égal. Du moins, c’est ce qu’il veut faire croire. Il feint l’indifférence. Feint de ne pas rechercher la gloire. La fausse modestie est la plus grande mais aussi la plus louée des arrogances.
Ses yeux ne quittent pas les miens. Ses lèvres se déforment lentement. Sourire ou grimace, je ne saurais dire. Je suis soumis au même suspense que le reste des spectateurs présents. Je ne maitrise plus le cours des événements. Ce qui va se passer est une complète surprise.


Soudainement, il tourne la tête, regarde sa femme - nul doute qu’il s’agisse de sa femme ou, du moins, de sa compagne de longue date, les vieux couples finissent par tant se ressembler qu’on pourrait les prendre pour de faux jumeaux - à moins qu’il ne s’agisse de sa sœur jumelle, assise sur le siège en face du sien. Dans un mouvement d’une rapidité dont on ne le soupçonnerait plus capable, il lui décoche une gifle d’une violence inouïe - violence dont on ne pourrait le croire non plus capable - qui envoie mamie rejoindre ma jeune « victime » au sol.

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