dimanche 7 juin 2020

En Retard (58)

Gigi ? Chez Gigi ? Pourtant je ne l’ai pas vue, Gigi, ma voisine de palier, parmi les visages de cette assemblée étrange et pas franchement très honnête de ce bar. Il faut que j’y retourne. Vérifier. Enquêter.

Je suis toujours à quatre pattes. Pas la volonté de retourner à la bipédie immédiatement. Pas la force. Je pousse la porte du bar avec la tête, comme le ferait mon chat - elle, c’est une fille, je le rappelle, doit être en train d’hurler, chez moi, elle n’a rien eu à bouffer depuis ce matin.... mais, bon... si elle est capable de me préparer le café, elle doit bien être capable de s’ouvrir une boîte de thon ou son paquet de croquettes - me faufile - un bien grand mot, le verbe se faufiler, pour la situation présente : je me cogne contre les mollets, les tibias qui se dressent devant moi, je me fais écraser les mains par toutes les semelles qui se présentent ; je ne ressens heureusement pas de douleur : malgré ma vidange, l’alcool fait toujours effet - entre les jambes qui encombrent mon chemin vers le bar (je parle du meuble haut, du comptoir, pas du lieu, la salle - c’est toujours ennuyeux ces métonymies, ça prête à confusion), en profite pour regarder sous les jupes des filles, rétine et pupille, j’ai les yeux qui brillent pour ce jeu de dupe - on s’arrête ici... il existe un droit à la citation en littérature... à condition de ne pas trop recopier... sinon, ça devient un simple plagiat - lèche au passage quelques bottes - ça peut toujours servir : la flagornerie est le principal moteur de l’ascenseur social - et finit par me fracasser les fontanelles contre le zinc - une autre métonymie, certes, mais celle-ci a la mérite de ne pas engendrer de malentendu.

Je me redresse quelque peu. Il le faut bien. Pour atteindre le barman. Ou la barmaid. Je préfèrerais que ce soit un barman. Je préfère les barmen. Je n’aime pas les femmes qui traînent dans les bars. Mauvais genre. Pas le mien en tout cas, ce genre de femmes. A fortiori, celles qui y travaillent. On va encore me traiter de miso... je ne vois pas le rapport avec les bouillons japonais. Je suis à genoux. Ainsi, mes mains atteignent le bord du comptoir. Un ultime effort me permettra de retrouver la position debout. Un effort qui ressemble fortement à une traction. J’ai toujours été nul en tractions. Comme en pompes. Rien dans les bras.

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