J’ai commandé hier soir, il était presque vingt-et-une heures, les deux volumes réunis en un coffret des œuvres complètes de Jorge Luis Borges - je suis absolument incapable de prononcer correctement les nom et prénom de mon héros argentin, j’ai de la chance de tenir un blog et non d’animer un podcast - en Pléiade. J’en ai profité pour m’acheter En Territoire Cheyenne d’Éric Chevillard et ai failli prendre deux trois autres bouquins mais ai renoncé - beaucoup de complications qui seraient trop longues à narrer alors que ce n’est pas le sujet du présent billet.
Je m’offre chaque année deux volumes de La Pléiade. Un agenda est offert pour l’achat de deux volumes. J’ai les agendas de La Pléiade des onze dernières années. Depuis 2012. Celui de 2022 sera mon onzième. Je les ai tous conservés. Dans les premiers, dans les plus anciens, on trouvera mes rdv notés. Ceux chez le médecin, rares - j’évite le plus possible la fréquentation des médecins, c’est mon côté Poquelin - et ceux pour les cours particuliers de mathématiques, de physique et de chimie que je donnais alors à travers l’agglomération dijonnaise.
Un jour, me rendant en bus à l’autre bout de la cité des Ducs, un long trajet, j’eus une idée de texte ou de poème - je ne sais plus, il faudrait que je consulte l’agenda de cette année là - que, sur le moment, je jugeais brillante. J’eus peur de l’oublier pendant le cours particulier. Je n’avais pas de carnet sur moi. Normalement, j’ai toujours un carnet sur moi. Ce jour-là, non. C’est donc dans mon agenda de La Pléiade que j’ai noté cette idée. Mes agendas ont alors pendant quelques années remplacé mes carnets. On trouvera donc dans ceux-ci, en plus des rdv, de nombreuses idées, plus ou moins développées, des phrases illisibles, des mots entourés, soulignés avec insistance et dont je ne perçois plus aujourd’hui tout à fait l’importance.
Mes derniers agendas, les plus nombreux, les versaillais, sont un peu plus vides. Avoir un emploi fixe, sédentaire, me dispense de noter des rdv. Et pour mes idées, je me suis remis aux carnets. J’en ai un toujours sur moi. Un second se remplit plus lentement, sur mon chevet. Mon dernier agenda, celui de 2021, je l’utilise épisodiquement comme journal. Alors même que je tiens déjà un journal dans des cahiers format A4 - et je le tiens très lâchement, très mal.
Mes premiers agendas La Pléiade, je les achetais d’occasion (comme neufs) sur Rakuten - qui s’appelait encore Priceminister. Il y a un véritable marché de l’agenda La Pléiade sur le net. Je ne sais si ce sont des particuliers qui se payent des Pléiades pour remplir leur bibliothèque et revendent les agendas pour amortir un peu le prix de leur décoration reliée pleine peau ou si ce sont des libraires qui arrondissent leurs difficiles fins de mois en revendant sous le manteau quelques agendas. J’ai les moyens désormais de me payer deux volumes de La Pléiade par an - et même davantage si je le voulais - j’en profite.
J’ai reçu ce matin le colis renfermant le coffret, l’agenda et le Chevillard. À dix heures passées de sept minutes. Les services de FNAC.com et ceux de Chronopost sont parfois d’une efficacité proprement effrayante. Treize heures à peine se sont écoulées entre ma commande et l’arrivée de mes achats, parfaitement empaquetés, à côté de ma boîte aux lettres qui ne pouvait les contenir - ma boîte aux lettres est trop petite, pas aux normes postales. À se demander s’il n’y a pas quelque anticipation là-dessous, s’il n’y avait pas quelqu’un à la FNAC qui savait avant moi que j’allais commander les deux volumes de Borges et le court illustré de Chevillard et qui avait tout préparé dans l’attente que l’idée germe dans mon esprit - mélange de Minority Report et de Inception… Natacha (et moi aussi) préfère le premier des deux films, même s’il y a Cillian dans le second.
J’ai ouvert le paquet, vérifié que tout était en ordre, en parfait état puis pris mon petit déjeuner. Nous avons fait grasse matinée en ce premier jour de vacances, encouragés par la bouteille de Givry et la bouteille de champagne qui nous ont maintenu éveillés jusqu’à une heure du matin au son des Spice Girls, de Jamiroquai et de Noel Gallagher. Un toast beurré. Une compote pomme passion. Puis deux cafés. Deux lungo. J’ai mangé dans la cuisine. Bu dans le salon, Kula Shaker sur la platine.
C’est un café à la main que je me suis plongé plus sérieusement dans mes Borges. Idée un peu stupide de m’assurer que tous les textes que je connais de Jorge Luis - et je n’en connais pas tant, comparé à la somme réunie dans les deux volumes - se trouvent bien dans ces Œuvres Complètes. M’assurer que ces Œuvres Complètes portent bien leur titre. J’ai cherché en premier les Dix-Sept Haïkus que j’avais recopiés à la main, sur trois feuilles à petits carreaux dans un volume intitulé Poésies publié chez Gallimard et emprunté à la bibliothèque de Versailles.
Ensuite, je me suis intéressé au texte le plus important de Borges. Mon texte de Borges. Mon texte modèle. Référence. Rêvé. Celui que j’aurais aimé avoir écrit. Même si je ne l’aurais certainement pas écrit comme Borges l’a écrit. En premier lieu parce que je ne parle pas un mot d’espagnol. Encore moins l’espagnol d’Argentine. Je m’escrime d’ailleurs en vain depuis des années à tenter de le réécrire, ce texte de Borges. Je n’y parviendrai probablement jamais. Je réessaierai bientôt.
J’ai donc ouvert le volume I de La Pléiade. Et mon édition de poche de Fictions. Et ai comparé Pierre Ménard, auteur du Quichotte - puisque c’est là le texte dont il s’agit - dans le premier à Pierre Ménard, auteur du Quichotte dans la seconde. Mot à mot.
Tout allait pour le mieux. Jusqu’à la première parenthèse :
- en Pléiade : (dont les vendredis inoubliables me valurent l’honneur de connaître le regretté poète)
- en poche : (au cours des vendredis inoubliables de qui j’eus l’honneur de connaître le regretté poète).
Je n’ai pas pu poursuivre ma lecture.
Je ne sais qui croire. À qui accorder ma confiance. Privilégier la version de l’onéreuse Pléiade, ne serait-ce pas du mépris de classe ? Ne serait pas considérer que le plus cher est à coup sûr le mieux ? Que les pauvres méritent leur sort et n’ont pas droit au plus raffiné ? Au contraire, choisir la version de poche - que je connais depuis bien plus longtemps - ne serait-ce pas du populisme de bas étage ? Du complotisme ?
Moi qui espérais libérer de nouveau quelques centimètres sur les étagères de ma bibliothèque en revendant mes poches de Borges - mes Pléiades prennent place dans une autre bibliothèque, pas de mélange chez moi - me voici pris au piège, je vais être obligé de garder celui de Fictions. Jusqu’à ce que je tranche. Jusqu’à ce que je me décide entre les deux versions de Pierre Ménard, auteur du Quichotte. Jusqu’à ce que l’une me serve de base à ma réécriture du texte et que je mette l’autre à l’index comme apocryphe.
Et, en attendant, je me dis qu’il est grand temps que je me remette à ma traduction de Kafka, abandonnée il y a plus de dix ans.
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