samedi 22 octobre 2022

Bruit

Dans l’appartement, un bruit. Une vibration sourde, un bruit. Je l’entends, ce bruit. Je crois que je l’entends, ce bruit. Ce qui revient à l’entendre, ce bruit. Je ne suis pas certain que ce bruit existe. Je crois qu’il est, ce bruit. Peut-être n’est-il pas, ce bruit. Natacha ne l’entend pas, ce bruit. Quand je lui demande si elle l’entend, ce bruit, ce son, elle me répond non. Elle n’entend pas bien toutes les fréquences, Natacha. Qu’elle n’entende pas ce bruit ne prouve pas qu’il n’existe pas, ce bruit. Malgré tout, je doute, à cause de Natacha.

C’est aux toilettes que je l’entends le mieux, ce bruit. Là qu’il est le plus intense, le plus net, le plus clair, le cul posé sur la lunette. Je l’entends aussi dans mon bureau. Dans le salon. Plus subtilement. À volume plus faible. Présent tout de même. Pas dans la chambre. Pas dans la cuisine. Pas encore. Non, pas encore.

J’ai cherché la source du bruit. Des travaux dans un appartement à un étage inférieur ? À un étage supérieur ? L’ascenseur ? L’ascenseur est une bonne piste. Coupable idéal. Comment être sûr ? Surtout que j’entends le son ailleurs. Loin de l’ascenseur.

Car le bruit, le son, me poursuit. M’obsède. Cette vibration, je l’entends parfois en voiture. Au boulot. Dans la musique qui passe. À la télévision. Il habite, s’installe dans ce que je perçois, écoute, entends, vois. Pas dans tout ce que je perçois, écoute, entends, vois. Pas encore. Le bruit s’étend. Le bruit se déploie. Le bruit conquiert. Le bruit se répand. Le bruit se diffuse lentement. Le bruit ne court pas.

J’essaie de décrire le bruit. Une seule image me vient. Elle s’impose. Aucune autre tentative de description ne résiste devant cette image qui surgit naturellement. La sirène d’un bateau qui rentre au port. Ou une corne de brume. Quelque chose de marin. Oui, le paquebot qui salue la ville qui l’accueille. Ou celle qu’il quitte. Une vibration grave, intermittente, épaisse au départ et qui semble s’affiner au cours de son émission d’une ou deux trois secondes.

Une sirène de paquebot. À Limoges. Je repense à Voyage autour de mon crâne de Frigyes Karinthy dans lequel celui-ci raconte qu’il découvrit son problème au cerveau après avoir vu et entendu passer le train sur une place centrale de Budapest, à plusieurs kilomètres de la gare et des voies.

Perdre la tête ne me fait pas peur. Cette espèce de folie est même une perspective qui m’intéresse plutôt.

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