12 janvier.
J’ai mis en ligne hier après-midi Mauricettes. Les éventuels lecteurs pourront découvrir ces 11 textes illisibles à partir du 16. Je me sens libéré. C’est ainsi que je me sens après avoir mis le point final à un texte ou, mieux, à un recueil. Soulagé. Débarrassé presque. On ne devrait jamais se sentir ainsi quand on se dit / prétend / croit artiste. Une œuvre ne se bâtit pas à coup de bon débarras. Tout de même, en arrêtant de me casser la tête sur ces Mauricettes qui, de toute façon, ne seront jamais des chefs-d’œuvre, je m’autorise à passer à autre chose. À faire autre chose.
Je n’ai pas entamé immédiatement, dès le 11 après-midi, le travail sur un autre texte. D’expérience, je sais que ça ne fonctionne pas. Pas chez moi, pas pour moi. Je risque deux trois jours d’euphorie, taper ou griffonner quelques pages, me croire au début d’une superbe création… puis, le soufflé retombé, ces pages bonnes ou mauvaises seraient abandonnées comme tant de projets auparavant. Non, j’ai rangé et classé mes brouillons de Mauricettes puis ai repris le travail sur de vieilles peintures inachevées. Peu de peinture. Une petite heure. Parce que la nuit tombait. Parce que mon tube de blanc est presque vide. J’en bouffe énormément du blanc. Cinq fois plus que tout autre couleur ou teinte. Au moins. Voilà pour le 11.
Ce matin, je voulais dessiner. À l’encre. Bleue ou noire, peu importe, j’avais emporté mes deux Waterman. Et mon bloc de feuilles A4 à petits carreaux. Je suis d’abord allé faire des courses, pour mon plus grand bonheur. Puis le bruit des travaux à l’étage du dessus m’a opportunément fait quitter de mon appartement alors que j’avais adopté une position (assis sur la banquette de mon bureau) qui risquait de mettre à mal mes plans pour la matinée. Direction la cathédrale Saint-Étienne. Quatre mois presque cinq que je vis à Limoges et je n’y ai pas remis les pieds (je l’ai visitée il y a quelques années, lors de vacances) alors même qu’elle se trouve à cinq minutes à pied.
Les travaux m’ont suivi. Ça perce, ça marteau-pique dans le porche-tour-clocher. Un son incroyable dans tout l’édifice. Une vibration grave, très grave qui monte, tremble et s’éteint d’un coup ou presque. Une bande originale de film d’horreur pour les moments les plus angoissants. Quelque chose entre une trompette et un cor des Alpes. Je me dis que c’est l’orgue - amplifié par la nef - tremblant avec sa base en travaux qui émet ce son magnifique. J’enregistre sur le dictaphone de mon smartphone, je n’ai pas vérifié ce que ça donne.
Je m’assois dans la cathédrale sur une chaise choisie au hasard. Ou presque - je ne crois pas au hasard. Je lève le nez, je regarde autour. Mais je ne dessine pas. Il fait froid. Et humide. Mes doigts, mes mains sont rouges. Bientôt bleus. Bientôt violets. Léger tremblement. Je ne peux pas dessiner. Je ne m’en sens pas capable. Alors j’écris. Écrire je peux. J’ai l’habitude d’écrire dans des conditions difficiles. L’habitude d’écrire si mal que j’ai du mal à me relire. Peu importe aujourd’hui, j’écris pour écrire, je n’ai pas l’intention de me relire. Je note des observations. Sur la cathédrale en elle-même. Pas sur les gens qui s’y trouvent. Il n’y a personne ou presque. Deux couples de touristes la traverse en coup de vent - comme s’il ne faisait pas assez froid.
C’est là que me vient l’idée d’écrire ici, dans la cathédrale. Vraiment écrire. Écrire sans écrire pour écrire. Dans mon bureau, trop de tentations. La musique. Internet. La tévé. Les livres et magazines. Et le chat. Et la vaisselle à faire. Je ne suis jamais vraiment concentré plus de quinze vingt minutes d’affilée. J’ai déjà songé à aller travailler à l’extérieur. Dans un café. Ça me paraît tellement cliché. Je veux certes jouer à l’artiste, vivre à l’artiste, ce n’est pas pour autant que je veux finir en image d’Épinal. Alors que venir s’installer tous les jours où c’est possible deux ou trois heures dans une cathédrale et n’y avoir rien d’autre à faire que de manuscrire, sans ordi, sans dico, ça me semble un bon moyen d’être productif.
Idée à creuser. Pas aujourd’hui cependant. Comme je le disais plus haut, je ne veux rien commencer de suite. Une fois notées quelques conneries, je déambule dans la cathédrale, cherche en vain l’entrée de la crypte qui semble merveilleuse (j’apprendrai plus tard qu’elle n’est pas ouverte au public). Je visite les chapelles. J’y découvre une flopée de noms de saints et saintes qui pourront me servir à nommer de futurs personnages. Quel dommage que ces prénoms soient tombés en désuétude… Austriclinien, Alpinien, Celse, Domnolet, Psalmet, Léobon, Prisque, Sacerdos, Cessateur, Ronce, Leudomir, Asclèpe, Élaphe, Prudentienne, Proxède, Foy, Euphrasie… et le sublime Ramnulphe - mon préféré. Je n’avais d’ailleurs pas réagi que les noms de bleds autour de Limoges (ou ailleurs) commençant par saint- étaient des véritables prénoms. Il y a eu un Victurnien, un Yrieix, un Pardoux, un Vaast… leur vie fait l’objet d’une peinture murale ou d’un vitrail dans la cathédrale.
Dessiner, j’ai toujours ceci en tête. Ou me préparer à dessiner, repérer des sujets. Je sors de la cathédrale pour les jardins de l’évêché. Je n’y suis pas vraiment retourné depuis un certain jour d’octobre 2009. Il fait plus froid et plus humide encore qu’à l’intérieur. Logique. Et l’hiver n’est probablement pas la meilleure saison pour profiter d’un jardin botanique. Je fais le tour quand même. J’apprécie les escaliers, les différents niveaux, la construction en terrasse de ces jardins. Je ris devant certains noms de plante. Oui, je ris. Et je me dis qu’il n’est pas impossible qu’il y ait là de quoi peindre tout le printemps et tout l’été. Je m’imagine m’installer l’après-midi avec mes tubes et des feuilles cartonnées au milieu des fleurs et des couleurs après avoir passé la matinée à écrire dans la nef.
Je regarde l’autre rive de la Vienne depuis un balcon. J’aime Limoges ce matin.
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