il y a ce fil qui dépasse, qui sort, qui pend, du t-shirt, du polo ou du calebute, depuis une couture, il déborde et alors, je le tire et le tire et le tire, probablement parce que, gamin, on me disait qu’il ne fallait pas tirer sur le fil qui dépasse du tissu, et comme je suis resté - peut-être le suis-je devenu ? - un sale gosse, je tire sur le fil pour voir, jusqu’où, jusque quand, je tire à n’en plus finir, il n’en finit pas le fil, infini, il en vient encore et encore, il en vient toujours un peu plus, une pelote, une bobine, un rouleau bientôt, je tire, je tire, à l’autre bout, le fil déjà tiré s’effiloche, gagne en volume, prend de la place et de l’espace, se détend, désagrège, dépourvu d’utilité qu’il est désormais qu’il n’est plus du polo, du slibard ou du sweat-shirt qu’il en est extrait bien que non encore séparé, maintenu encore par l’autre extrémité que je tire et tire encore jusqu’à renoncer, abandonner, me résigner à couper proprement avec un ciseau comme on me l’a appris, enfant, triste de me découvrir si vieux encore si obéissant et de n’aller jusqu’au terme du processus, le fil d’une longueur incroyable, de quoi s’en passer entre les dents des décennies durant - je n’utilise jamais de fil inter-dentaire ou presque, une ou deux fois l’an, après un bœuf bourguignon trop filandreux - et je contemple le t-shirt, le polo, le boxer qui ne s’en portent pas plus mal d’avoir tant perdu de fil, ne se disloquent ni se déforment ni ne se trouent et je ne comprends alors pas pourquoi il était défendu de tirer sur le fil toutes ces années durant, pourquoi prohiber ce qui n’a de conséquences et je ne comprends pas comment chinois et indiens et taïwanais et philippins et bengalis - j’en oublie certainement - font pour vendre des t-shirts et des polos et des sous-vêtements si peu chers, bien moins chers que ceux produits en occident, tout en gâchant tant de fil, en y mettant tant de fil qui ne sert à rien
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