vendredi 19 avril 2019

La Montre (1.22)

Pas plus tard qu'hier, un homme, a priori quelconque, habillé comme tout un chacun, comme vous (peut-être) et moi,

blue jeans -
non aux anglicismes ! -
chemisette et chaussures de sport blanches -
je n'ai pu vérifier si
sa banalité vestimentaire s'étendait
aux chaussettes et aux sous-vêtements,
on a parfois des surprises
et je déteste les surprises,
bonnes - elles me laissent sans mot,
(l'émotion, la joie)
ce qui me gêne dans mes activités d'écriture -
ou mauvaises - elles me laissent sans mot
(la colère)
ce qui me gêne dans mes activités d'écriture

debout au milieu de l'avenue de la Nation, bras en croix, paumes tournées vers le ciel, indifférent à la circulation pourtant dense qui, sans ralentir, le frôlait à droite et à gauche en klaxonnant, en jurant, en l'injuriant, parlait à la statue

au sommet de la colonne
qui se dresse au centre de la place de la République
sur laquelle débouche l'avenue de la Nation
se tient, sur un pied,
dans une posture de danse
ou de yoga
ou d'aérobic,
un génie ou un héros ou un demi-dieu
d'or, casque ailé,
sceptre en main et tenue légère
autour de ses attributs

l'interpellait, la priait, lui rendait hommage, lui donnait des ordres, des conseils, lui posait des questions, lui demandait son chemin

en frison ? en bavarois ?
en brabançon ? en afrikaans ?

lui demandait l'heure, l'heure officielle, celle du quatrième top,

je vous assure,
Madame la Statue
c'est un bip que j'entends

lui faisait des reproches, l'insultait, lui jetait des sorts, que sais-je ?,

le vacarme assourdissant de la circulation
couvrait sa voix qui semblait pourtant
puissante ;
je ne sais pas lire sur les lèvres

tandis que les passants, sur les trottoirs, doucement riaient, ricanaient, prenaient, avec leur smartphone

putain d'anglicismes !

un cliché mal cadré mal exposé, filmaient une courte séquence qui permettra aux rires, aux gloussements et à la folie de se propager à travers ce qu'il est convenu d'appeler La Toile, puis, vite lassés,

on se lasse si vite de tout
de nos jours,
on n'est plus capable,
dès lors que l'histoire manque de spectaculaire,
dès lors que les rebondissements ne sont pas incessants,
de se passionner,
de s'intéresser pleinement,
d'être attentif -
comment une histoire de montre
qui avance d'une minute
pourrait-elle conquérir
 -ne serait-ce qu'un petit - lectorat ?

passaient leur chemin.

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