Ma chaussette droite est trouée. Mon petit orteil dépasse.
Je ne peux pas remonter chez moi la changer : Gigi... De plus, de toute façon, pour ne rien arranger, mes fouilles sont vides : j'ai, comme je le soupçonnais tout à l'heure, oublié mes clefs... Je n'ai pas le temps d'attendre qu'un serrurier vienne me délester d'un RSA pour me rendre l'accès à mon dressing.
Comment poursuivre ? Si je continue ainsi, si je traverse Paris dans ma chaussette trouée, mon petit orteil ne s'en remettra pas. On ne se rend pas compte, dans nos chaussures qui nous isolent des trottoirs, à quel point ceux-ci sont dangereux. Verre brisé, débris de bouteille de bière ou de rouge qui tâche par quelque soulard nocturne. Gravillons. Imperfections du macadam. Bords de pavés. Minuscules objets pointus, coupants, rugueux, en plastique, métal, verre, bois, perdus, égarés par les passants. Comment espérer que mon orteil, mis à nu, lors de mon périple à travers les arrondissements qui, à regarder un plan de Paris où ils apparaissent bien anguleux, portent bien mal leur nom, résiste à toutes ces agressions ? Comment espérer que mon orteil s'en sorte sans blessure ? Sans coupure, microcoupure, irritation, cloque, ampoule, écorchure, morsure ?
Comment poursuivre ? Si je continue ainsi, si je traverse Paris dans ma chaussette trouée, mon petit orteil ne s'en remettra pas. On ne se rend pas compte, dans nos chaussures qui nous isolent des trottoirs, à quel point ceux-ci sont dangereux. Verre brisé, débris de bouteille de bière ou de rouge qui tâche par quelque soulard nocturne. Gravillons. Imperfections du macadam. Bords de pavés. Minuscules objets pointus, coupants, rugueux, en plastique, métal, verre, bois, perdus, égarés par les passants. Comment espérer que mon orteil, mis à nu, lors de mon périple à travers les arrondissements qui, à regarder un plan de Paris où ils apparaissent bien anguleux, portent bien mal leur nom, résiste à toutes ces agressions ? Comment espérer que mon orteil s'en sorte sans blessure ? Sans coupure, microcoupure, irritation, cloque, ampoule, écorchure, morsure ?
Et cette blessure qui fatalement surviendra sera la porte d'entrée de mon organisme pour toutes les immondices que renferme Paris. Car, disons-le, Paris est une ville dégueulasse. Il n'est pas un centimètre carré du sol de Paris qui ne soit dégueulasse, sale, crade, contagieux, infectieux. Chewing-gums encore humides de salive pleine d'herpès, crachats, merdes et pisses de chiens et de clodos et d'étudiants bourrés, fientes de piaf, restes moisis de bouffe, vomissures, papiers souillés, retombées de pollution atmosphérique, insecticides, herbicides, déjections de rats, germes et bactéries et virus... Paris est le milieu de prolifération idéal pour toutes sortes de saloperies qui mènent illico au tombeau - voilà bien un rendez-vous, mon enterrement, où je ne serai pas gêné d'arriver en retard.
Un orteil qui dépasse dans Paris, c'est un orteil promis à la pourriture, à la gangrène, c'est l'orteil d'un homme qui marche vers la septicémie et son cercueil... Il faut que je réagisse, anticipe, fasse quelque chose.
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