dimanche 26 janvier 2020

En Retard (28)

Lentement, dans un grincement sinistre, la porte de la station fantôme pivote tandis qu'un souffle chaud et moite semble s'échapper du sombre tunnel qui peu à peu s'ouvre devant moi. Des profondeurs insondables du tunnel me parvient le gémissement du métro sur les rails - à moins que ce ne soit le gémissement des rails sous le métro...

Je m'apprête à descendre l'escalier dont je ne devine que les premières marches dans l'obscurité quand une voix au loin dans mon dos appelle mon nom.
Je la reconnais, cette voix, elle n'est à nulle autre pareille. Quand je souffre, quand je me sens mourir, quand mon univers s'effondre, quand je me sens incapable et inutile, quand l'envie et le désir et même le besoin s'évanouissent en moi, seule cette voix - et cette voix seule - est capable de me guérir et de me redonner vie. Les mots lui sont inutiles pour soigner mes blessures, celles que je m'inflige, cette voix pourrait prononcer des syllabes dépourvues de sens, ses intonations, ses inflexions, uniques à mes oreilles, suffisent à me sauver. Cette voix, c'est celle de ma bien-aimée.

Ma bien-aimée est derrière moi, je l'entends qui m'appelle. Elle est en retard. Très en retard. Encore plus en retard que moi.
Je le sais, je l'ai appris, elle me l'a avoué, elle fait exprès d'être en retard, si en retard. Quand, chaque fin de semaine, je propose de nouvelles parties à En Retard, c'est intentionnellement que ma bien-aimée ne les ouvre pas immédiatement mais attend le lendemain, que j'abandonne à l'immensité du world wide web, telle une bouteille à la mer, un autre texte, un autre billet - parfois un simple jeu de mot, une ridicule plaisanterie - pour les lire. Toujours lire en retard En Retard, toujours lire En Retard en retard, je ne la savais pas si facétieuse... elle n'en est que plus merveilleuse.
Pour rendre hommage à sa malice, je publierai mes prochains morceaux de En Retard en retard, à 17h18 plutôt qu'à 17h17.

Ma bien aimée derrière moi m'appelle mais je suis déjà très en retard - et je me suis présenté dans ce texte comme un célibataire endurci, ne l'oublions pas. Je me sens comme Orphée remontant des Enfers, Eurydice à sa suite, torturé par l'interdiction divine de lui parler ou de se retourner pour la regarder. Sauf que je ne remonte pas des enfers mais semble plus proche d'y descendre et que j'ai quelques notions élémentaires de mythologie - je sais comment l'histoire finit. Je ne me retourne pas. Je baisse la tête et m'enfonce dans les ténèbres. Une larme roule sur ma joue.

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