Après cette initiale révélation, je ne cessai de m’inventer - au sens de découvrir - jour après jour, pianiste. En autodidacte. Pour autant que l’on puisse être autodidacte : on ne devient musicien que parce que d’autres avant nous ont été musiciens comme on ne devient écrivain que parce d’autres avant nous ont écrit comme on ne devient peintre que parce que d’autres avant nous ont peint, etc.
Pour progresser, j’inventais et m’imposais chaque jour des exercices qui, aujourd’hui, par les temps qui courent où rien ne doit représenter une contrainte pour nos chères têtes blondes, seraient assimilés à de la torture ou de l’automutilation : je jouais en me tenant sur un pied, je jouais la tête en bas, je jouais la fenêtre ouverte, je jouais en slip, je jouais avec un bâillon, je jouais les mains dans le dos, je jouais tout en faisant des flexions-extensions, je jouais en roulant la langue (mon ADN me l’autorise), je jouais les doigts dans le nez, je jouais la bouche pleine, je jouais dans le noir, je jouais avec le feu, je jouais à qui perd gagne, je jouais à me faire peur... Je ne m’économisais jamais, je me sacrifiais, je donnais mon corps et mon âme à mon art...
Les efforts consentis ne furent pas vains : je développai une technique à la fois personnelle et impeccable qui me mena rapidement bien au-delà de ce qu’on appelle communément virtuosité.
Les efforts consentis ne furent pas vains : je développai une technique à la fois personnelle et impeccable qui me mena rapidement bien au-delà de ce qu’on appelle communément virtuosité.
À treize ans, plus aucune difficulté ne pouvait m’arrêter. Je pouvais parcourir en tous sens, à toute vitesse, la palette - j’ai poussé plus loin l’analogie entre musique et peinture, j’ai nommé l’ensemble des touches « palette » (je ne comprends pas ceux qui se disent amoureux du piano et osent en comparer la magnifique, la magique étendue noire et blanche à un vulgaire clavier d’ordinateur ou de machine à écrire) et l’ensemble des notes « gamme chromatique » - mes bras se croisaient, se décroisaient avec adresse, mes doigts semblaient se démultiplier. Les compositions réputées parmi les plus ardues du répertoire, Islamey de Balakirev, Gaspard de la Nuit de Ravel me servaient d’échauffement le matin, pour que mes doigts engourdis par une (courte) nuit de sommeil retrouvent toute leur fougue et leur plus parfaite autonomie.
Je m’attaquai bientôt aux œuvres à quatre mains pour me stimuler un tant soit peu.
Je m’attaquai bientôt aux œuvres à quatre mains pour me stimuler un tant soit peu.
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