jeudi 27 février 2020

Le Piano de MLM (9)

Mes parents, disais-je, quand on les interrogera - et on ne manquera pas de les interviewer à mon propos, mes parents, la télévision, les journaux prétendument sérieux, la presse dite à scandale, s’arracheront leur témoignage ; c’est notre époque qui veut ça, la plèbe raffole des confidences sur l’enfance, sur le passé des stars et des génies et des grands de ce monde - répondront très probablement (à moins de faire preuve d’une mauvaise foi que je ne leur connais pas - on est parfois surpris, souvent déçus par ses parents) que tout ce que je viens de raconter est tout simplement et intégralement faux - à part, peut-être l’anecdote de mon premier contact avec un piano, lors du dîner chez leurs amis - n’est que pur mensonge et somme d’affabulations et enchevêtrement d’histoires sans queue ni tête. Jamais je n’ai joué de piano, hausseront-ils les épaules.

Je n’ai cependant pas attendu de prendre pseudonyme - Maurice L. Maurice est un pseudonyme, si je m’appelais vraiment Maurice L. Maurice, croyez-moi, il y a fort longtemps que j’aurais entamé les démarches pour changer d’état civil - pour passer maître dans l’art de la dissimulation.
Je me demande encore comment ils ont pu gober tous les bobards que je leur racontais au cours des années durant lesquelles je vivais chez eux. Toutes ces excuses que j’inventais pour m’isoler dans ma chambre et pratiquer mon piano. Chaque fois que mes devoirs scolaires exigeaient le plus parfaite concentration. Chaque fois que je prenais un livre et ordonnais de ne pas être dérangé pendant sa captivante lecture. Chaque fois que je suppliais à genoux qu’on me laisse seul avec Jésus, Bouddha, Mahomet, Shiva ou Gilgamesh pour prier et sauver mon âme. Chaque fois que je prétendais avoir besoin d’intimité pour me masturber. Chaque fois, je profitais de ma douce solitude pour jouer.
Quand je pense à tous ces livres, disques, jeux vidéo, icônes, chapelets, magazines pornographiques que j’ai dû acheter pour faire croire que je m’adonnais, dans ma chambre, à des occupations de mon âge alors que je ne faisais que jouer, jouer, jouer du piano.


Mes parents sont têtus. Ils n’en démordront pas. Malgré mes explications. Jamais je n’ai joué de piano, affirmeront-ils tout de même... Je me relevais la nuit, quand toute la famille ronflait, pour jouer ? Je simulais une maladie, gastro-entérite, indigestion, fièvre pour rester à la maison quand toute la famille partait en balade pour la journée - ou simplement partait travailler, mes parents dans leur bureau, mon frère, à l’école - pour pouvoir jouer toute la journée ? Ils n’en croiront rien.
Refusant d’admettre (sûrement un peu vexés) qu’ils n’ont pas vu naître et s’épanouir  mon génie, qu’ils sont passés à côté, ils abattront leur dernière carte, leur atout majeur, leur preuve ultime, leur dernier argument : il n’y a jamais eu de piano à la maison.

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