lundi 2 mars 2020

Le Piano de MLM (11)

Il faut d’ailleurs que je l’admette, m’entendre jouer sur un véritable piano - complet avec cadre, coffre, cordes, pieds et pédales - se révèle fort décevant. Quand je joue des œuvres que pourtant je maîtrise, connais sur le bout des doigts - c’est l’occasion ou jamais d’utiliser cette expression galvaudée - depuis mes plus jeunes années, comme les Impromptus de Schubert ou Sur un Sentier Recouvert de Janáček (très beaux diacritiques chez Leoš également) sur un piano complet, elles ne se ressemblent pas... elles ne ressemblent en rien à ce que j’ai en tête quand je les joue sur ma palette. Et je ne parle même pas de mes propres compositions...
N’avoir joué que sur ma palette sans me soucier des limites techniques actuelles de la facture de piano m’a mené bien trop loin. Je suis trop en avance sur mes contemporains. Les pianos actuels ne peuvent supporter mon jeu. Ni physiquement ni émotionnellement. Les pianos actuels semblent se désaccorder aussi vite que j’en joue, les cordes semblent en permanence au bord de la rupture ou, au contraire, de la totale distension, le bois semble sur le point de se fendre, d’éclater, les pédales cherchent en vain à me freiner. C’est une véritable torture à écouter... je pourrais croire, en m’entendant jouer, que je me contente de frapper les touches au hasard ou sans savoir ce que je fais - quelle ironie...
Il faudra probablement quelques années ou décennies encore avant que ne soit construit un piano capable de me suivre, de supporter la charge fantastique de mon jeu. En attendant, je me contente de ma palette.

Il m’arrive tout de même, de temps à autre, d’essayer un piano récent. Je garde, au fond de mon âme, un vague espoir - je suis un éternel et indécrottable optimiste - d’en trouver un qui rendra justice à ma musique et à ma musicalité.
Je me rends dans ce but dans des boutiques spécialisée. Où peu de temps s’écoule avant qu’un des vendeurs, honteux des instruments indignes de mon talent qui y sont proposés, ne me prie de quitter les lieux et d’aller jouer ailleurs.

Je continue de chercher et d’être déçu.

Hier encore, alors que j’assistai (sans avoir été invité) à une party dans un immense appartement au dernier étage d’un immeuble hausmannien, après que j’ai en vain tenté de lui imprimer la Lettre à Élise, un Steinway a préféré sauter par la fenêtre.


VEV, février 2020

Aucun commentaire: