Dans la nuit de jeudi à vendredi, pour ma deuxième nuit dans ma nouvelle adresse limougeaude, j’ai rêvé de mon grand-père. Mon grand-père paternel. Celui dont je porte le nom. Ce nom qui n’est pas Maurice. Car si je m’appelais vraiment Maurice L. Maurice, croyez-moi, il y a bien longtemps, belle lurette -
La Belle Lurette était le nom de ma librairie, celle que je fréquentais quand j’habitais Paris - que j’aurais pris pseudonyme.
Dans mon rêve, je dormais à Dreslincourt. Dans la petite chambre située au dessus du garage. La petite chambre dont la porte d’entrée donne dans le fond de la cuisine. Une pièce minuscule. Six mètres carrés. À vue de nez. Au pif. Peut-être moins encore. Un bureau, une petite bibliothèque, une armoire, un lit une place. Et très peu d’espace laissé libre. Ce fut pendant des années la chambre de mon père. Quand il était enfant puis ado. C’est devenu ma chambre, adolescent, quand je venais en vacances. Ce n’est pas sans fierté que je dis ma chambre. Je me sentais privilégié d’y dormir, dans cette chambre. Je ne crois pas que mon petit frère y ait jamais dormi, dans cette chambre. Peut-être que si. Je préfère faire comme s’il n’y avait jamais dormi.
Je dormais dans mon rêve dans cette chambre et, après cette nuit que j’y passais, je me réveillais en chantonnant. À peine avais-je ouvert les yeux que je chantonnais. Cette chanson qui me venait au réveil, je ne la connaissais pas avant de me réveiller. Pas totalement. Le début, si. Ce début, il était de moi. J’ai écrit, composé ce début de chanson. Il y a bien longtemps. Après avoir vu
Dig !, le film documentaire. Vu au cinéma, du temps où j’allais encore au cinéma. Après avoir découvert
The Brian Jonestown Massacre dans
Dig !. Et la chanson
Satellite. Je crois qu’il s’agit de
Satellite, je ne pense pas confondre avec une autre chanson du
BJM. Je ne peux vérifier immédiatement, le disque se trouve au fond d’un carton, je ne sais lequel, je n’ai pas encore déballé mes cartons de CD.
J’avais à l’époque, il y a dix douze quinze ans gratouillé sur ma guitare une sorte de
riff basé sur trois accords D, Dsus2 et Dsus4. Quelques mois années plus tard, j’avais adjoint une suite à base d’un accord de G et d’un accord de Cadd9. Et quelques paroles piquées à Billy Corgan,
Shame. Sans aboutir à une chanson finie.
Dans mon rêve, en ce matin, la suite de cette chanson, de ce qui, dans la réalité (quoi que cela puisse bien signifier, la réalité), n’était qu’une esquisse de chanson - car oui, MLM écrit aussi des chansons… non, vous n’avez pas envie de les entendre - coulait de source. Cette chanson, cette esquisse de chanson, sur laquelle je fondais tant d’espoirs - car je suis persuadé que mon début, mon esquisse de chanson est bon, très bon - j’en trouvais enfin, après des années de recherche, la suite et la fin. Mon
riff qui tournait autour de l’accord de D en était l’intro et le refrain et le couplet, à mon réveil, à Dreslincourt où je n’ai pas mis les pieds depuis la mort de mon grand-père, il y a des années, il y a si longtemps, me venait naturellement. Et c’était magnifique. C’était beau. Non pas beau comme
Perfect comme
Ladies and Gents ou comme
Exit Music. Beau comme
Live Forever. Oui,
Live Forever ou
Don’t Look Back in Anger.
Oui, dans mon rêve, j’avais écrit une grande chanson. Une très grande chanson. Et je le savais dès mon réveil dans mon rêve que je tenais quelque chose d’immense. Une chanson qui donne envie de chanter en chœur avec une foule immense. Un hymne. Alors je chantais dans mon lit dans cette petite chambre qui fut celle de mon père il y a bien longtemps et qui fut la mienne quand j’allais encore dormir à Dreslincourt, il y a si longtemps, bien avant la mort de mon grand-père, je chantonnais d’abord puis je prenais de l’assurance et je chantais de plus en plus fort, je hurlais, je braillais. Merde, je venais d’enfin finir une chanson qui pourrait changer la vie de milliers millions de gens comme Live Forever avait changé la vie de tant de gens, je pouvais bien me lâcher et hurler dans mon lit. À pleins poumons. À pleine voix. À m’en déchirer les cordes vocales. À m’en bousiller la gorge.
Et alors, mon grand-père entrait dans la pièce et gueulait. Qu’est-ce que ce bordel ? Y a pas idée de gueuler comme ça dès le matin ! Qu’est-ce qui te prend ? Puis continuant à beugler, à me houspiller, il soulevait le lit et l’envoyait valdinguer et moi dedans avec à travers la pièce qui d’un coup devenait immense et ressemblait de plus en plus à un garage - dans lequel, pourtant, aucune voiture n’était garée - m’envoyait valser à des mètres de distance dans mon lit qui se retournait… et je me réveillai alors dans cette chambre que je ne connais que peu encore, dans le centre-ville de Limoges.
Oui, gueuler, mon grand-père l’aurait fait. Oui, il m’aurait dit que j’étais barjot, siphonné, pas net, pas bien. Jamais cependant il ne m’aurait ainsi balancé à travers la pièce. Jamais violent. J’ai dû prendre une claque de sa part, à
Créances, un jour où j’avais dépassé les bornes. C’est bien tout.
Je crois que si dans mon rêve, il en était arrivé à un tel excès, c’était justement pour que je me réveille. Pour que je me réveille à ce moment précis. Pour que je me réveille tant que j’avais encore en tête et en bouche la fin de ma chanson. Pour que je n’oublie pas cette chanson qui m’était venue, en grande partie en rêve - comme soit disant Yesterday est venue en rêve à Paul McCartney, du moins la mélodie, il l’avait, dans un premier temps, intitulée Scrambled Eggs, œufs brouillés. Pour que je me réveille et que je note immédiatement la suite et la fin de ma chanson, que je prenne mon téléphone, la fonction dictaphone, et que j’enregistre la fin, le complément de ma chanson - il manquait peut-être encore un middle 8 pour que ce soit complet… ou une coda… pas plus.
Je me suis réveillé, tout tourneboulé d’avoir revu mon grand-père. Les larmes au bord des yeux. Tremblant. Je n’ai pas quitté le lit, incapable de bouger. Choqué. Souris - Souris, c’est mon chat - est venue me faire un câlin, un long câlin. Elle m’a réconforté. M’a consolé. Je me suis rendormi ainsi, mon bébé ronronnant contre moi. J’ai oublié la fin de ma chanson. Il n’y a que dans mes rêves que je suis capable de chanson.
Mon grand-père me manque.