je ne sais pas dire non
pas même à la pompe en libre-service de la station d’essence
sur l’écran, on me demande si je veux mon ticket de carte bleue, je suis incapable de refuser
peur de paraître impoli ?
peur me faire arnaquer ?
non, simplement, un trait caractère, je suis un oui-oui
alors les facturettes s’entassent sur le siège passager, c’est là que je les jette en remontant dans la voiture, elles s’entassent, certaines glissent jusque sur le tapis de sol depuis le sommet du tas, certains appellent ça du ruissellement
il faudrait que je m’en débarrasse, mais où ?
une poubelle de rue, c’est exclu, rien n’y est trié, autant les abandonner au sol, sur le macadam, ce n’est pas mon genre
les monter dans l’appartement, pour en remplir la poubelle de recyclables, j’aurais trop honte de ma faiblesse devant Natacha, comment lui expliquer que même une machine de chez Géant Casino me donne des ordres contre lesquels je ne sais me rebeller
les vider dans les corbeilles à papier du collège, m’imagine-t-on traverser la cour les poches pleines de l’équivalent de plusieurs rouleaux de facturette, ça se saurait vite que je ne sais dire non à une machine qui me demande si je veux un ticket, que je suis à ce point sans volonté, sans aplomb, les élèves en profiteraient, me demanderaient moins de devoirs, de reporter les interros, de ne pas compter les notes trop basses, les collègues me demanderaient un service après l’autre, la direction me confierait des missions auxquelles je ne comprendrais rien…
les tickets de carte bleue s’accumulent donc dans la voiture
il y en a partout, ça déborde, ça commence à me gêner pour appuyer sur les pédales, c’est dangereux de ne plus pouvoir ni accélérer ni freiner, d’avoir du mal à débrayer, sur l’autoroute, en première, on se fait klaxonner, insulter, tire-toi de là, connard, et je ne sais pas dire non alors je vais sur les petites routes, les départementales, je n’ai guère plus de succès, même les papys me doublent
ça cessera un jour, quand la voiture sera trop remplie et que je ne pourrai plus la conduire, je n’aurais plus à mettre d’essence, je retrouverai ma liberté, plus personne, pas même une machine ne me posera de questions auxquelles je n’ai qu’une réponse, oui
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire