vendredi 1 mars 2019

La Montre (1.1)

La Montre

I


Ma montre avance d'une minute. Je n'ai plus aucun doute à ce sujet. C'est un fait. Avéré. Établi, prouvé, éprouvé, vérifié et confirmé. Par mes soins. J'ai moi-même composé le numéro de téléphone à quatre chiffres de l'heure officielle,

trois (3) six (6) neuf (9) neuf (9)

écouté attentivement, soigneusement, respectueusement religieusement le message préenregistré débité d'une voix monocorde Au quatrième top il sera dix-sept heures seize minutes suivi desdites quatre tonalités top top top top,

pour ma part, j'entends plutôt bip bip bip bip - passons...
je ne suis pas expert en matière d'onomatopées,
je peux tout à fait me tromper...

le combiné de plastique blanc collé à l'oreille gauche,

comment font-ils, dans les films,
pour coincer si aisément leur téléphone entre l'épaule et la tête (penchée)
et discuter, bavarder, bavasser, baver ainsi ce qui semble des heures durant ?
quelques secondes à peine dans cette position,
dans cette posture,
et, déjà, le torticolis
(aggravé par le courant d'air qui traverse mon appartement - 
il faut vraiment que je pense à faire réparer les carreaux cassés)
me guette

les yeux rivés sur la trotteuse qui, sur le même rythme peu imaginatif et sur le même tempo indolent que les quatre top(s)

que les quatre bip(s) ? - passons...
doit-on ou non accorder les onomatopées ?
toutes les onomatopées sont-elles invariables ?
sont-ce vraiment des onomatopées, ce top et ce bip
n'ont-ils pas été substantivés ce top et ce bip ?

égrenés dans l'écouteur, évolue de graduation en graduation pour atteindre le sommital numéro XII

je remets à plus tard
la description complète de la montre,
de ma montre -
ne pas alourdir le texte -
cf. infra, donc

du cadran : 17h17 (dix-sept heures dix-sept minutes). Une minute d'avance très précisément.



J'ai appelé, appelé, appelé, rappelé. Des dizaines, des dizaines de dizaines, des centaines de fois j'ai rappelé, j'ai additionné, multiplié, accumulé les écoutes du monologue répétitif

jamais tout à fait différent,
jamais tout à fait identique

de l'horloge parlante, combattu le sentiment

naturel, je suppose...
même si je dois bien admettre ne pas être d'une patience à toute épreuve

de lassitude qui grandissait en moi, résisté de toutes mes forces

se souvenir du chat de Schrödinger -
limiter autant que faire se peut
les interactions entre la manipulation et le manipulateur,
interactions, interférences qui risqueraient d'induire
de stupides et agaçantes et pourtant très évitables erreurs expérimentales
qui invalideraient, décrédibiliseraient, jetteraient bas, anéantiraient
mon protocole de mesure
et l'ensemble de mes résultats et de leurs implications et conséquences
ainsi que ma réputation (certes un peu usurpée)
de méticulosité et d'intégrité et de rigueur
et me ridiculiseraient,
feraient de moi la risée et le mouton noir et la brebis galeuse et le paria et le bouffon
de la communauté scientifique nationale et internationale
sans même parler du sérail littératureur germanopratin

à l'envie, au désir, au besoin de crier, hurler, beugler bip à chaque évocation, invocation du quatrième top... rien n'y fit, n'y fait, n'y a fait...

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