Lettre Compte Double
précédé de
Dans la Boîte
Cher Lecteur - tu permettras que je te tutoie,
Je te dois mes plus plates et insincères excuses. Moi qui devrais te choyer, toi, ami si rare - quasi unique - ami si précieux - pense à faire un don, j’accepte les chèques - ami si patient - jamais tu ne te plains de ma faible productivité ; pourtant avide de mes calembours et bourre et ratatam, tu attends, à la fois fébrile et stoïque, que mon œuvre doucement s’intégrale, sans jamais venir fouiner dans mes brouillons ou fouiller dans ma corbeille à papiers à la recherche d’ébauches et d’inédits - moi qui devrais te cajoler, te bichonner, te chouchouter, te minoucher, te passer de la crème et tes moindres caprices, te lécher les bottes et ton divin postérieur et cætera et cætera... je ne peux m’en empêcher... c’est plus fort que moi... comme une seconde nature... toujours, sans cesse, il me faut te malmener, te prendre à rebrousse-poil, t’en faire voir de toutes les couleurs et des vertes et des pas mûres avec mes textes qui ne mènent nulle part, tournent en rond, ne font que creuser encore et encore le même sillon pour mieux s’embourber, avec mes constantes nouvelles idées, à mon goût évidemment géniales, en réalité inabouties, à peine suffisantes pour emplir un paragraphe que je raccrocherai artificiellement à un vieux texte en cours de rédaction depuis des années, à un de mes multiples projets reporté sine die, sans arrêt définitivement abandonné puis remis sur le tapis, à jamais proche d’être mené à bien, avec mes centaines de pages de brouillons qui ne sont que ressassements et finiront en un galimatias d’à peine 1717 mots...
Tu viens d’achever ta première lecture de Dans la Boîte.
Claustrophobie ? Sentiment d’enfermement ? D’étroitesse ? Manque d’espace ? Besoin de grand air ?
Non ? Rien de tout cela ?
Crois-tu mon effet raté ? Crois-tu que j’ai cette fois échoué dans mon entreprise de manipulation ? Que le marionnettiste s’est emmêlé les fils ? Tu crois t’en tirer à bon compte qui fait les bons amis ?
Pourtant, ne le nie pas, tu te sens patraque, mal fichu, un peu... quelque chose ne passe pas, quelque part dans l’estomac ou dans les tripes ou en travers de la gorge, comme une écharde dans le pied à l’étrier, la paille dans l’œil du voisin, un doigt dans l’engrenage à contre-courant, a flatulent pain in the ass... sans compter ce grincement de dents que tu ne peux réprimer et ce sanglot que tu étouffes à grand peine.
Un simple dérangement gastrique ? Une petite diète ne te ferait certes aucun mal - une petite diète ne peut jamais faire de mal : faites ce que je dis, pas ce que je fais...
...cet en-cas que tu as avalé, que dis-je ?, englouti, gobé - tu étais si excité, après une si longue attente, des semaines, des mois, des siècles, Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? je ne vois que le soleil qui... oh, si, enfin, un nouveau texte de MLM ! mieux ! deux nouveaux textes ! nous sommes sauvés de l’ennui bleu-barbant... - juste avant de dévorer Dans la Boîte, tu aurais dû prendre le temps de correctement le mâcher, le mastiquer - depuis le temps qu’on se tue à te le dire et répéter... le temps du repas est précieux, sacré, jamais perdu... mange moins vite et ne parle pas la bouche pleine...
...mais non, il ne s’agit pas d’une indigestion. Ni l’acidité de ton estomac ni le gras de ton foie ni la fenaison de ta flore intestinale ne sont à l’origine de ton piteux état...
Pas plus que tes soucis professionnels ou tes peines de coeur : ils n’ont ici pas voix au chapitre, pas même au paragraphe.
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