mardi 28 juillet 2020

Albert Merle (2/8)

Albert Merle consulta l’heure au réveil matin sur le chevet. Les chiffres rouges qui brillaient faiblement dans l’obscurité de la chambre lui confirmèrent qu’il était encore tôt. Très tôt. Trop tôt ? De toutes façons, je ne me rendormirai pas, haussement d’épaules. Il repoussa les draps moites, s’assit sur le bord du lit, posa les pieds au sol, Putain, qu’il fait froid, chercha de la pointe des pieds ses mules, les enfila dans le mauvais sens, pied droit dans le chausson gauche, pied gauche dans le chausson droit, corrigea son erreur en sifflant, ‘fait chier, se leva.
Quelque chose d’inexplicable, comme un pressentiment ou, davantage, comme une force impérieuse, lui interdit d’allumer la lumière. S’étonnant lui-même de tenir compte d’un tel avertissement, il renonça à presser l’interrupteur et traversa la chambre à tâtons, traînant les semelles sur le parquet, en direction, juste à droite de la porte, de la chaise qui lui servait de valet de chambre et sur laquelle, chaque soir, il déposait ses vêtements pour le lendemain.
Dans le noir, il évalua mal la distance, se cogna le genou contre le bois de la chaise. Putain, sa race. Douleur vive mais qui ne dure guère. Qui, sous peu, ne serait plus qu’un souvenir. Et dont le souvenir lui-même s’évanouirait bien vite. Cependant, au fur et à mesure que l’élancement dans la rotule s’éteignait, une confuse et désagréable sensation de déjà-vu montait en Albert Merle. Encore une belle journée de merde qui commence, enculé... Albert Merle était fermement résolu à parler moins vulgairement. À faire l’effort d’effacer les jurons de son vocabulaire courant. Plus tard, il ferait l’effort.

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