Albert Merle ne portait à cet instant rien d’autre que son caleçon de la veille. C’est ainsi qu’il avait dormi. Ainsi qu’il dormait toutes les nuits. Dans cette tenue. Quittant la chambre, il s’arrêta dans la salle d’eau - que ne donnerait-il pas pour une baignoire... - prendre le peignoir qu’il utilisait de plus en plus souvent comme une robe de chambre. Un réflexe déconcertant lui fit brusquement replier le bras gauche contre la poitrine quand il essaya de le passer dans la manche de tissu-éponge. Chair de poule, poils hérissés. Quoi encore ? Son agacement était désormais proche d’exploser en franche colère.
C’est dans ces moments-là, quand il se sentait à deux doigts de perdre le contrôle de ses nerfs, qu’il regrettait le plus de ne jamais avoir rejoint le petit groupe qui, tous les dimanche matins, s’adonne au tai-chi sur les pelouses du parc voisin. Le sentiment de calme, de sérénité qui se dégage de ces dix, douze personnes lors des lents enchaînements de postures de combat magnifiées lui faisait envie. Très envie. Le petit Asiatique sans âge qui mène le groupe sans un mot, semblant diriger les opérations uniquement par la pensée, l’intimidait. Apeuré par l’idée - qu’il savait absurde - d’être guidé par télépathie, impressionné par le charisme froid de ce gourou taiseux, Albert Merle n’avait jamais osé l’aborder pour prêter allégeance.
Il écarta les pieds à 90°, fléchit légèrement les genoux et avança en pas de côté tout en effectuant avec les bras des mouvements circulaires qui tenaient davantage de Franck Esposito ou de Pete Townsend que d’un quelconque art martial. Arrivé au bout du couloir, il se sentit ridicule, se redressa. Un large sourire lui déchirait le visage. Il avait retrouvé son calme, le résultat escompté. Il revint sur ses pas, ramassa le peignoir au sol et l’enfila. Celui-ci lui fit l’effet d’une de ces chemises sans col que devaient revêtir le dernier jour les condamnés à la décapitation. Il l’abandonna au sol et se dirigea vers la cuisine en sous-vêtements.
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