Avec une journée de retard sur ma promesse - ce que j’ai publié hier n’était pourtant pas plus intéressant… pas moins non plus, me direz-vous sûrement.
La femme en orange et marron n’est pas vraiment belle. Le rouge pourtant éclatant de ses lèvres se fait si discret, simple petite coupure, sur son visage à l’étrange et fascinant teint jaunâtre, ocrâtre à peine rehaussé de rose sur les pommettes. La coiffure, rigide et formant comme un bonnet (une chapka ?) sur sa tête, n’a probablement jamais été à la mode, pas même en 1911.
La femme en orange et marron n’apporte aucune joie. Son regard d’une mélancolie… la tête penchée… quel poids sur ses épaules si peu marquées sous son manteau aux couleurs chaudes ? Elle paraît sérieuse à mourir. Son allure d’icône (est-ce une auréole qui l’éclaire ainsi ?) l’éloigne de moi, pauvre mortel sans prétention à l’éternité.
Mais quel repos, quel calme, quelle sérénité, la femme en orange et marron parvient à me procurer, à me faire ressentir. Je crois que je l’aime.
Alors je m’assois. Pour la première fois depuis une heure que je tourne et piétine et retourne en arrière et fais des impasses, visite d’autres impasses et couloirs peu mis en valeur dans le centre Pompidou (des sous !), je m’assois. Une sorte de banc - je dis sorte car le banc n’est pas rectangulaire, contrairement à l’image que j’ai d’un banc - dans la salle consacrée à Macke, Marc et Kirchner, je m’y assois, en face de la femme en orange et marron.
Il y a trop de monde dans la salle. Trois ou quatre personnes. Qui se renouvellent sans cesse. Trop de mouvement, les gens passent, sont remplacés par d’autres gens qui passent. Il y a trop de gens dans le musée. Dans toutes les salles. Le musée est rempli d’une foule en mouvement. Mouvement trop rapide. Renouvellement trop rapide.
Trois ou quatre personnes assises, ce ne serait rien. Trois ou quatre personnes en perpétuel changement, remplacement, c’est trop, beaucoup trop.
Je n’ose pas dessiner devant les gens. Je n’ose pas dessiner devant quiconque. Écrire oui, je peux, je me permets. Dessiner, non. Écrire, on ne peut lire par dessus mon épaule. J’écris d’ailleurs devant la femme en orange et marron, assis dans la salle où sont réunis les Macke, les Marc, les Kirchner de Beaubourg. Ça me fait penser à un texte jamais achevé, La Barque Bleue, un brouillon auquel il faudrait que je me remette. J’écris mal, vite, en tous sens, on ne peut me déchiffrer facilement. Dessiner non, il suffit de jeter un œil pour voir mon dessin, mes croquis, mes esquisses, mes traits maladroits.
Et si les gens en mouvement dans les salles, dans la salle, s’arrêtait pour regarder mes maladresses ? Si la foule qui passe si vite dans Pompidou ralentissait, s’accumulait dans mon dos pour regarder ma main tremblante, mes proportions non respectées ? Je n’ai pas peur des moqueries. J’ai peur de faire honte à la femme en orange et marron. Peur de la rater. Que les gens en mouvement, qui ne marquent qu’un léger ralentissement, imperceptible devant la femme en orange et marron, s’arrêtent sur mon dessin de la femme en orange et marron. Que de la femme en orange et marron, les gens n’en retiennent que mon croquis raté.
Et si, pire, les gens ne s’arrêtaient pas ?
Je ne dessine pas. J’ai emmené pour rien mon carnet de croquis. J’ai peur de perdre les deux pétales, la première orange et jaune, la seconde mauve et jaune, que je fais sécher entre ses pages. Alors j’écris dans le bloc à petits carreaux. Je scribouille pour ne pas rester à ne rien faire devant la femme en orange et marron que j’aimerais dessiner. Puis peindre de retour à la maison. J’écris pour ne pas dessiner. Alors que c’est ici, devant la femme en orange et marron que j’ai envie de la dessiner. Et non, à mon bureau, à partir du catalogue de l’exposition où j’ai vu la première fois, la femme en orange et marron, au musée de l’Orangerie. Alors j’écris que je ne dessine pas.
Dans le RER C au retour, je dessine d’après photo la femme en orange et marron. J’aurais mieux fait de m’abstenir.
Frauenkopf in Orange und Braun
August Macke, 1911
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