jeudi 28 juillet 2022

Gare Gamelle (suite)

Il paraît qu’après une chute de vélo, il faut remonter immédiatement. À moins que ce ne soit après une chute de cheval qu’il faille remonter en selle de suite… mais bon, le priahippisme, je m’en fous. Après ma gamelle de dimanche, j’étais remonté en selle tant bien que mal pour rentrer à la maison… mais ça ne compte pas vraiment, j’avais moins de mal à pédaler qu’à marcher.
Remonter en selle. Dès que j’ai marché de nouveau sans boiter, j’ai ressorti le vélo. Ce matin en l’occurrence. Le vélo a un peu morflé dimanche, je le constate avant de m’élancer. La guidoline présente quelques trous. Une poignée de frein est un peu tordue. J’aurais peut-être dû renoncer… mais tout avait l’air de fonctionner normalement ou presque… alors j’y suis allé. J’aurais peut-être dû renoncer.

Il y avait des signes qui me disaient de repartir en arrière, de ne pas y aller.
Déjà avant de partir, dans les poches de mon maillot troué - des petits trous, on le dirait mité, dans le dos - j’avais retrouvé une folle quantité de gravillons, de sable et de végétaux, comme si j’avais lors de ma précédente gamelle creusé ma tombe et emporté le trop plein de terre.
Sur mon chemin, les corbeaux volaient bas. Semblaient me suivre. Attendre ma chute fatale. J’ai vu un corbeau, boulevard de la Reine, au bout de quelques dizaines centaines de mètres à peine, se repaître du cadavre d’un pigeon en feignant de ne pas prêter attention à mon passage - je n’étais pas dupe.
Devant moi, dans une allée du parc, une cycliste en cape ou poncho (allure d’Almira Gulch me suis-je dit) zigzaguait. Je la double avec prudence. La cause de ces zigzags ? La cycliste lisait. Oui, lisait. Un large livre ou cahier ouvert dans le panier attaché à son guidon. Livre ou cahier écrit à la main. Livre qui ressemble à un registre. État civil ou quelque chose du genre. Je me suis demandé même si elle n’était pas en train d’écrire tout en roulant. Je n’ai pas osé regarder en passant si mon nom était écrit sur une des pages. J’accélère.

J’aurais dû rentrer. Mais non, je me suis dit, je vais prendre mes précautions.
Je tombe une fois sur trois ? J’ai gamellé la fois d’avant. Je ne risque rien aujourd’hui ni lors de ma prochaine sortie. Il faudra simplement que j’évite la troisième sortie. Je la sauterai et passerai directement à la quatrième.
Je ne tombe jamais deux fois au même endroit ? Je passe ce matin par tous les endroits où j’ai déjà chu - et ça commence à représenter un sacré parcours. Je passe notamment par le lieu où, dimanche, j’ai laissé ma peau. Je l’y retrouve en lambeaux. Je ne touche pas à mon bidon malgré la chaleur et ma soif, j’ai compris que ce n’est pas l’endroit propice où se désaltérer.

Non, je ne suis pas rentré… j’ai roulé… avec pour seul objectif de ne pas voir mon parcours interrompu prématurément… de faire mon tour et de rentrer sans pied ni épaule à terre… ça ne devait pas se passer ainsi…
J’ai roulé plus prudemment que d’habitude, moins à fond, adopté des trajectoires moins tendues, évité avec soin les zones où les gravillons s’accumulent, freiné plus souvent mais moins fort… et pourtant, ma moyenne horaire était la même que d’habitude - à méditer.
Puis vint cette descente peu pentue. Pleine de nids de poule (je ne parle pas de l’arrangement capillaire de ma chérie au réveil), de petites bosses et de plaques de goudron mal ajoutées… c’est dans cette descente que s’est arrêtée ma folle chevauchée…



Un bruit bizzarre, métallique, à chaque imperfection de la chaussée. Une drôle de sensation dans le guidon. J’ai ralenti, freiné, décalé mon pied de la pédale, me suis arrêté. J’étais à plat à l’avant. Crevé. Peut-être une conséquence de ma chute de dimanche.
Je n’ai pas tenté le diable, j’aurais été foutu de déjanter. Je suis rentré à pied. Les cale-pieds et les chaussures aux semelles rigides n’étaient pas agréables. Je suis en rentré en chaussettes, trois kilomètres cinq cents en chaussettes, mes chaussures dans une main, mon vélo dans l’autre, à travers le parc et sur le boulevard. J’ai vu quelques touristes me regarder et sourire moqueusement. S’ils savaient ce que, moi, je pense d’eux, ils riraient moins.

J’aurais mieux fait de rester à la maison.

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