Pour être tout à fait précis et exact, ce n’est pas tant la mélodie qui s’impose à moi qui retient mon attention que le « texte » sur cette mélodie. La mélodie seule ne m’aurait pas évoqué grand chose je pense qu’il me semble. C’est le texte. Le bout de texte. Trois mots. Trois mots qui ne peuvent être prononcés sur cette plage, ce serait trop étrange, trop absurde. C’est une hallucination auditive. Quelqu’un chantonne quelque chose et j’entends d’autres mots que ceux que cette personne prononce, comment pourrait-il en être autrement ? Qui chanterait ceci en 2022 ?
Qui ? D’où vient ce chantonnement qui s’est à présent arrêté ?
Non, ce n’est pas possible. Serait-ce de l’aîné de notre couple près la poubelle ? Ce serait fou. J’observe. J’écoute. J’espionne. Aussi discrètement que possible. De manière très visible donc. Peu importe.
Le gamin, casquette Spiderman, t-shirt Le Roi Lion, slip de bain qui est un slip tout court, est occupé à construire un Fort Boyard de sable - c’est ce qu’il prétend du moins. Il lui beaucoup de boulot, assure-t-il, il a encore toutes les fenêtres à percer. Sa méthode de construction est complexe. Je n’en saisis pas tous les tenants et aboutissants. Le sable est d’abord entassé à la main dans le filet d’une petite épuisette, filet qui est ensuite plongé dans un seau de plastique rempli d’eau. Plusieurs minutes de trempette. Puis le sable est ressorti de son bain, ajouté une première fois à la construction en cours avant d’en être retiré et d’être réuni une seconde (ou une énième, je ne pas suivi assez longtemps pour savoir) fois dans le filet de l’épuisette pour retourner à l’eau.
Plus que ce rituel complexe, c’est le vocabulaire de ce garçon qui m’étonne. Son discours incessant, absurde, insensé de gamin normal de huit-dix ans max en ponctué d’expressions incongrues : « il ne faut pas y aller avec le dos de la cuiller », « c’est fort de café », « c’est pas piqué des vers », expressions soulignées d’un rire artificiel, mécanique, forcé, comme s’il faisait partie d’un texte appris par coeur, bien plus grave que la hauteur normale de sa voix. Ces expressions inattendues me confirment qu’il pourrait bien être celui qui chantait il y a quelques minutes. Il n’y a qu’à attendre. Attendre que le chant reprenne.
Et je n’ai pas besoin d’attendre bien longtemps. Oui, il se remet à chantonner. Et non, ce n’est pas une hallucination auditive de ma part. C’est un voyage dans le temps. Trente ans en arrière. Je ne comprends pas ses premiers mots. Peut-être du yahourt. Peut-être du nanananana. Mais le refrain, pas de doute. Presque pas de doute. Il prononce ces deux noms, ces trois mots. Biouman et Dorothée. Biouman et Dorothée. Qui de moins de trente ans (en visant large) connaît encore Biouman et Dorothée ? Saleté de rediffusions. Pauvres enfants que les parents mettent devant les rediffusions de ce qu’ils regardaient eux-mêmes il y a trente ans… et le gamin continue… (voix aiguë) Bernard Minet un autographe (voix grave) vas-y dégage, dégage de là (même rire artificiel, très gras, que prcédemment).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire