soulevant la trappe dans le sol de la cuisine de Marie-Claire, j’ai descendu les trois quatre marches qui mènent à la cave
c’était il y a deux semaines, un peu plus, la veille de
si je n’ai pas écrit avant, c’était pour me laisser le temps - temps que, finalement, je ne prends pas, je ne me relirai pas
des années que je n’étais pas rendu dans cette cave
personne ne s’y rend sauf le contractuel de je ne sais quelle administration ou entreprise chargé du relevé du compteur d’eau
Marie-Claire ne conserve rien dans sa cave - et d’ailleurs qu’y conserverait-elle ?
et si ce jour-là je descendais, c’était pour réfléchir au plan, aux volumes, à l’organisation de la cave, me rendre compte s’il était possible ou non d’ouvrir un autre accès qui ne soit pas au milieu de la cuisine, presque sous la table à manger
je baissai la tête pour éviter les toiles d’araignée, nombreuses, très nombreuses, il paraît qu’elles sont signe d’un endroit sain, je veux bien le croire malgré les quelques poutres dont l’état m’inquiète un peu, il ne faudrait pas que toute la cuisine et tout le salon un jour rejoignent la cave
je ne fis rencontre en revanche d’aucun arthropode
ma mission d’observation tourna court, je ne voyais pas où pratiquer nouvelle ouverture
à moins d’acquérir la maison voisine, ce qui ne serait pas mal, ne serait-ce que pour agrandir le jardin
mais je restai quelques temps tout de même dans le sous-sol
un temps long me sembla-t-il mais ce ne fut qu’une impression, comme si le temps s’était arrêté, probablement seulement une affaire d’une poignée de minutes
arrêté, stupéfait
je venais de retrouver, dans la cave de Marie-Claire l’odeur et le goût de terre battue de la cave de mon grand-père, à Dreslincourt, lieu magique, interdit
moins merveilleux cependant que le grenier dans lequel j’étais libre de monter quand je le désirais - l’interdit et le désir ne vont pas forcément de pair - et dans lequel je pouvais passer des heures et des heures
où mon grand-père conservait ses pommes de terre, les pommes de terre cultivées dans le jardin, son jardin, et son vin
cette bouteille-ci, je la garde pour ta communion
mais ma communion eut lieu loin de Dreslincourt ou même de Paris et je ne sais si la bouteille fut bue pour une occasion particulière ou non et si elle était bonne ou bouchonnée ou tournée à l’aigre - peu importe, je ne buvais pas encore à l’âge d’accepter le corps du Christ
et les bouteilles de Schweppes, Coca, Gini
aller chercher une bouteille de soda était une de ces occasions où l’on me confiait les clefs - pluriel car il y avait deux portes, l’une après l’autre, la première, qui donnait sur la cour, la seconde, après avoir descendu la dizaine de marches - de la cave et où je pouvais m’y rendre seul
mais également, sur une étagère, inaccessible à ma taille d’alors, les bouteilles de white spirit
dont le nom me rappelle désormais ces deux adolescents dans le RER C, il y a sept ou huit ans, qui plaisantaient sur le nom de la station Javel
avec lequel il me lavait les mains après les travaux de peinture (porte ou autre) qu’il me confiait pour mon plus grand bonheur
il ne fallait surtout pas dire à ma grand-mère que mes mains avaient été lavées au white spirit, produit il est vrai un peu toxique, il se serait fait engueuler
voici une autre odeur pleine de souvenirs, celle du white spirit, je la redécouvre en ce moment, en compagnie de celle de l’essence de térébenthine combien de fois ai-je oublié d’éteindre la lumière de la cave, preuve de mon passage, je ne pouvais nier
je n’avais pas droit d’y aller, je me le faisais rappeler, mais je ne me faisais pas punir ni gronder pour autant
et je n’avais jamais autant aimé (car je ne les avais autant compris) qu’à ce moment, dans la cave de Marie-Claire, ces vers de
Cesare Pavese extraits de
La Mort viendra et elle aura tes Yeux :
Tu es la cave fermée
au sol de terre battue,
où l’enfant est entré
une fois, les pieds nus,
et sans cesse il y pense.