samedi 9 décembre 2023

# 1804

Le véhicule, la voiture en face de moi, sur l’autre file, d’un coup, m’éblouit. Quelques centièmes millièmes de secondes, ou quelque chose du genre, je n’ai pas chronométré, n’ai pas les outils adéquats pour mesurer le temps si précisément, durant lesquels je ne vois plus la route. Pas assez longtemps pour me faire dévier, m’envoyer dans le bas côté, pas assez longtemps pour me mettre en danger. Un flash, un double et c’est tout. La voiture passe à côté de moi et disparaît dans mes rétroviseurs, intérieur et extérieur.


Que signifie ces appels de phare ? Je cherche. Pas de tic ni de tac, mon clignotant ne clignote pas. Mes feux de croisement sont allumés alors que le soir tombe à peine, on y voit encore très très clair. Mes feux de route, eux, ne sont pas en fonctionnement, pas d’aveuglement de ce côté. Ce n’est pas la musique qui a dérangé mon croisé passé, mon autoradio diffuse du jazz plutôt cool (A New Perspective) à un volume sonore tel que moi-même je n’entends pas bien, le son couvert par le bruit du roulement des pneus sur le bitume.


Il faut me rendre à l’évidence, on vient de me signaler la présence de la flicaille, des gens d’armes et de la marée (haute ? basse ?) chaussée plus loin - je confonds encore les différents corps de la sécurité intérieure - radar ou jumelles prêts à saisir le chauffard (le froissard ? si on se fie aux températures extérieures) en excès de vitesse.


Je suis tout d’abord un peu vexé. Moi qui respecte le code de la route comme s’il s’agissait de la parole divine comme Eddie. Jamais jamais jamais je ne dépasse le nombre indiqué sur les panneaux blancs cerclés de rouge. Plutôt me faire emboutir par le camion fou de Duel de Spielberg plutôt que de franchir la limite si clairement affichée.


Puis je me rappelle que prévenir, d’une manière ou d’une autre, les automobilistes en sens inverse de la présence d’un contrôle plus loin, sur la route, est strictement interdit. C’est illégal.
Et, d’un autre côté, je me dis que si les bleus se sont postés sur cette route, c’est parce qu’ici, habituellement, les gens ne respectent pas la vitesse maximale autorisée. Et que la condé s’attend donc à me choper et à me verbaliser.
Et que s’ils ne me donnent pas d’amende, les keufs vont comprendre que j’ai été prévenu. Et vont donc s’en prendre à celui, en sens inverse, qui vient de me prévenir. C’est lui qui va ramasser. Pour m’avoir, justement, prévenu.


Je sais bien que la route de l’enfer est pavé de bonnes intentions - même si le macadam est lisse. Ce n’est pas pour autant que j’estime juste qu’un conducteur soit puni pour un geste de solidarité ou, je ne sais quel est le bon mot, de bienveillance envers mon humble personne. Non, je ne veux pas que celui qui m’a renseigné d’un appel de phares sur la présence du bras armé de la justice automobile soit poursuivi, lui qui ne visait pas à mal, au contraire, lui qui ne me voulait que du bien.


Alors, pour que la gendarmerie ne le soupçonne pas, mon bienfaiteur, d’avoir enfreint la loi, serait-ce pour de si nobles motifs, j’accélère, j’écrase la pédale et le champignon qui pousse entre mes orteils. Je fonce. Je fends la route d’un coup de H (je me prends quelques instants pour Hamilton). Je passe devant le radar à toutes blindes.


Et je maudis celui qui m’a fait des appels de phare quand s’allument les gyrophares des motards dans mes rétroviseurs, intérieur et extérieur.

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