J’aime la pluie.
J’ai appris à l’aimer, la pluie. Sous toutes ses formes, crachin, drache, averse, orage, déluge. Il faut bien, par ces temps-ci - et par par ces temps-ci, j’entends non le temps qui passe, qui s’écoule quoiqu’il s’en écoule effectivement tant, de l’eau, tant d’eau, à torrents, à rivières, à fleuves, à courants marins, à seaux, à brouettes, à… mais le temps qu’il fait, celui de la météo, la météeau serais-je tenté d’écrire, mettez eaux au pluriel sans liaison, pourrais-je même allé jusque là-eau - il vaut mieux l’aimer, l’eau, la pluie, pour ne pas sombrer - les inondations menacent et mon arche de noyé n’est pas prête à recevoir son baptême au champagne coupé d’eau (il ne faut pas trop gâcher la bulle) - dans la dépression (souvent synonyme de précipitation), dans le mouron - non, pas tout de suite, il sera bien temps (qui passe et s’écoule celui-là) quand nous serons de vieux eaux à ronger.
J’ai appris à aimer la pluie. Son son. Sur les toits. Ça, son son, celui de la pluie, je l’ai toujours aimé, je crois, je ne me souviens pas de ne pas l’avoir aimé, son son sur les toits et les vitres. Battements tout d’abord espacés puis peu à peu s’accélérant pour parfois devenir assourdissant, dégageant une impression de puissance, l’impression que tout ce qui se trouve en-dessous sera écrasé, concassé, réduit en purée, en bouillie, puis le ralentissement pour ne plus rester qu’un battement intermittent, rare, de plus en plus rare, mais persistent jusque longtemps après que la pluie a cessé. Le son de la pluie m’a toujours plu (la pluie participe de plaire) et je regrette de n’avoir jamais acheté pour les joursemainesaisons de sécheresse l’un de ses longs bâtons de pluie, maigre substitut pour son son, substitut pour son son tout de même.
Son odeur, en revanche, l’odeur de la pluie, j’ai dû apprendre à l’aimer. L’odeur du macadam - je vis en ville, vise en ville avec la liaison ; ai-je atteint la cible ? - mouillé par la pluie - étrangement différente de l’odeur du macadam mouillé au jet d’eau, il me semble, je me trompe peut-être, certainement, quand ai-je senti pour la dernière fois le macadam mouillé au jet d’eau, pourquoi d’ailleurs mouiller au jet d’eau le trottoir ? - longtemps, je ne l’ai pas aimée cette odeur, ce parfum, j’ai mis du temps à l’apprécier - c’est que je suis sensible du tarin, de l’eaudorat, les eaux de toilette, les eaux de parfum, je suis exigeant, difficile en la matière, nombre d’entre elles, je ne les supporte pas - mais, à présent, c’est une odeur qui me procure du plaisir - oui du plaisir - cette odeur qui monte doucement avec l’averse et qui s’évapore au soleil plus vite que ne sèche le trottoir. Je ne sais cependant si j’aime désormais la pluie parce que j’aime désormais son odeur ou si j’aime désormais le parfum de la pluie fraîchement tombée parce que j’aime désormais la pluie.
La pluie sur le macadam, sur la route, j’ai appris à l’aimer. Rupture de monotonie sur la quatre-voies, sur l’autoroute. Enfin, du danger, du risque, du péril. Sentir la voiture plus aussi stable. Le volant qui semble vouloir s’échapper. L’essuie-glace, les essuie-glaces qui luttent en vain. Contrairement aux idées reçues, la pluie, c’est l’aventure, la fin de l’ennui - j’ai acheté cette semaine ou la semaine dernière, je ne sais plus (pourtant je note, je note… je note tout mais je ne me relis pas), un livre de Jankélévitch sur l’aventure, l’ennui et le sérieux que je n’ai pas encore véritablement entamé, une page ou deux seulement, j’ai privilégié, acheté en même temps, un Simenon se déroulant à Concarneau, en Bretagne donc, région réputée d’eau (réputation, vue la météo aqueuse généralisée, à laquelle il va falloir mettre un therme comme dans les villes d’eau) et, acheté depuis, Le Maître et Marguerite de Boulgakov mais on s’éloigne du sujet (d’eau) - la vie trépidante, trompe-la-mort sous les trombes à mort je deviens.
Ma pluie préférée - car toutes les pluies ne s’idèment pas et j’ai mes préférences - est celle du 21 juin. L’orage du 21 juin. Celui de tous les diables (pour éteindre l’infernal incendie ?). Celui qui fait fuir instrumentistes et spectateurs, débandade généralisée, la fête de la musique tombe littéralement à l’eau. Il y a longtemps, il y a vingt vingt-cinq ans, la fête de la musique, je l’attendais, je l’aimais, espérant chaque année au cours de longues balades pédestres en ville découvrir un groupe, un son, un chanteur, un style nouveau(x). Les milliers de mauvaises interprétations de L’Aventurier ont eu raison de ma curiosité de l’été naissant. Je hais et je fuis désormais par tous les pores et tous le orifices la fête de la musique… mais elle me poursuit - désagrément, l’un des nombreux, d’habiter le centre-ville ; il y a des avantages aussi - jusque sous mes fenêtres… alors comment faire ? je ne vais tout de même pas jeter des seaux d’eau depuis ma fenêtre : je ne peux compter que sur l’orage. La pluie torrentielle, la pluie diluvienne qui libère des feausses notes. Fabuleux son sur les toits et sur les vitres. Et la rue débarrassée du bruit, emplie du parfum du macadam humide.
Pas d’orage attendu, pas assez gros, averses peut-être mais non dissuasives, ce soir, vendredi. Alors nous avons fui, vers la maison de campagne, en ville, où j’écris ceci en silence. Ici habituellement, j’écoute FIP, mais aujourd’hui, fête de la musique, la
playlist est aux auditeurs qui ne sont guère origineaux,
Asleep from Day puis
Girl Like You, bien, très bien, mais j’ai déjà tout ça, chez moi, sur disque, ce n’est pas pour écouter ces titres que je mets
FIP habituellement dans la maison de campagne où, dans le jardin, c’est un de mes eaubbys, l’eau de pluie, grand réservoir de 300 L, je la collecte à défaut de la collectionner… j’aimerais, chaque goutte peut être pas mais chaque épaisseur d’eau dans la cuve pouvoir la dater, l’horodateur, l’identifier, c’est une manie de collectionneur, de ranger étiqueter, moi qui, pour le reste, suis bordélique à souhait.
Cessons ici, ce texte part à vau-l’eau.