Je me souviens bien mieux de l’endroit et du moment où j’ai acquis mes disques que de l’endroit et du moment où j’ai lu pour la première fois mes livres. C’est l’impression que j’ai. Impression trompeuse car, si je réfléchis, les lieux et les endroits associés à la découverte des romans les plus importants (pour moi) me reviennent sans difficulté.
Voyage au bout de la Nuit, acheté à Toulon fin 2003. Lu à Tahiti quelques semaines plus tard.
Kosmos, acheté à la FNAC Strasbourg en juin ou juillet 2005. Lu quelques semaines plus tard à York.
Les Mange-Pas-Cher. Acheté à la fin du printemps 2010 à Gibert Paris. Lu quelques jours plus tard sur une chaise du Jardin du Luxembourg.
Héros et Tombes. Acheté à Versailles, Gibert, en décembre 2021. Entamé le 1er ou le 2 janvier suivant à Limoges. Relu début janvier 2023 à Limoges, toujours. Nouvelle lecture prévue début janvier 2024.
Les Sept Fous. Acheté à Gibert, Paris, en juillet 2022. Lu quelques semaines plus tard à Fouras.
La Chouette Aveugle complètera, j’en suis certain, dont je ne pourrai oublier la découverte. Le roman faisait depuis longtemps partie d’une liste de titres dont je ne savais pas grand chose si ce n’est qu’ils étaient susceptibles de.
Ces derniers jours d’octobre 2023 ont dépassés mes espérances. Peu de textes m’ont autant impressionné que La Chouette Aveugle, enfin commandé il y a une dizaine de jours à Page & Plume. Seule déception, je ne connais personne à qui le conseiller. À qui ce cauchemar opiacé, cauchemar de la mort séduisante, du sang qui poursuit les êtres à travers les générations et les réincarnations, du symbole qui prend vie, de la répétition qui détruit la barrière entre rêve et réalité, serait susceptible de plaire.
Je ne suis pas un bon ni un grand lecteur. Si je n’écrivais pas, je ne se sais si je lirais. Je lis parce que j’écris. Parce que j’essaie d’écrire. C’est une sensation que j’ai souvent. Je la sais fausse, cette impression. Pourquoi aurais-je envie d’écrire si ce n’est parce que j’ai lu ? Je ne suis pas inventeur de l’écriture. J’écris parce que d’autres ont écrit. Et parce que j’ai lu certains de ces autres.
L’impact cependant de mes lectures ne peut se mesurer que sur mon écriture. La Chouette Aveugle est de ces textes à l’impact dévastateur. Envie de tout remettre en question. De recommencer à zéro. De jeter mes brouillons et de. Il faut que je me raisonne. D’autant que je ne serai pas même capable de faire un pastiche de La Chouette Aveugle. Alors un texte qui lui arrive à la cheville.
J’ai relu aussitôt après. Une dizaine quinzaine de minutes après. Trois Gouttes de Sang. Courte nouvelle du même auteur. Qui m’avait fait forte impression déjà, il y a quelques années. Je ne sais plus si j’avais acheté le recueil de nouvelles à Gibert Versailles parce que je cherchais La Chouette Aveugle et que je ne l’avais pas trouvé. Ou si j’ai cherché La Chouette Aveugle parce que le recueil et surtout la nouvelle qui éponyme m’avait ébranlé.
La nouvelle de dix pages constitue une sorte de prototype à La Chouette Aveugle. Même folie. Même secousse. Atténuée par la moindre longueur. Moins développée seulement. Ayant fini de la lire, il a fallu que je m’allonge. Un disque de musique indienne, un peu d’encens et ma planche de fakir pour matelas. Je crois que je ne suis pas tout à fait remis. Alors que la face A venait de s’achever, j’essayai d’appeler Natacha pour qu’elle tourne le disque. Je n’y parvins pas de suite. Mes appels me restaient en tête sans sortir. Je m’entendais mais je savais que personne ne pouvait m’entendre. État de demi conscience dont j’eus du mal à comprendre qu’il n’était pas éveil et dont plus de mal encore à m’extraire. Je crois que je me suis vu de l’extérieur. Ça n’a duré probablement que quelques secondes, peut-être moins. Puis j’ai pu demander de l’aide à Natacha. Elle ne put m’aider, les mains sales, elle jardinait.
Que me sert de lire encore si ce n’est pour retrouver ces sensations ?