Un spot publicitaire parmi la dizaine vingtaine trentaine coincée entre le journal télévisé de midi et le bulletin météo avait donné à Natacha envie de glace. Esquimaux - quel drôle de nom - de crème glacée enrobée de chocolat aux éclats d’amande ou noisette ou caramel.
Pour le reste du repas du soir, pour les repas des jour suivants, Natacha avait moins d’exigences, se contentant de hausser les épaules et de souffler en gonflant les joues quand je lui demandai ce qu’elle aimerait manger.
Me voici donc aux courses, Super U, une heure plus tard, après une bonne sieste idiomatiquement réparatrice - je me sentais cassé… aussi bien avant qu’après avoir pioncé. J’erre dans le magasin, son sous-sol (au rez-de-chaussée, il n’y a que les produits d’hygiène, d’entretien et de quoi boire, alcoolisé ou non), à la recherche d’idées pour les deux trois quatre jours à venir - si je pouvais m’éviter d’avoir à revenir avant mercredi ou jeudi…
Évidemment, à force de tourner, virer entre les rayons dans la vaine quête de menus sympas mais non totalement régressifs, à force de m’énerver, désespérer,
angoisser entre les yahourts et les conserves, j’ai fini par les oublier, les glaces, que j’avais prévu de sortir en dernier des congélos du supermarché pour ne pas qu’elles fondent pendant que je remplissais le panier.
Passage rapide à la caisse - il n’y a personne à cette heure là - rangement des commissions dans le frigo et les placards. Écriture du
billet pour ce blog. Écoute de
The Bends de
Radiohead. Désapage.
Je réfléchis beaucoup sous la
douche. Nombre d’idées de textes ou
poemlm sont nées de centaines de litres d’eau gaspillées. Faisant mousser à la main le gel douche sur une certaine partie du corps - effet garanti - m’a fait percuter : j’ai oublié les glaces, bordel de merde de sa race de p**e (je suis si vulgaire, parfois), j’ai oublié les glaces.
Y retourner ? Ou pas ? Natacha ne m’en voudra pas si j’ai oublié les glaces. Non, elle ne m’en voudra pas. Elle prétendra même, pour me faire me sentir mieux, que c’est mieux ainsi, que des glaces, de toute façon, ce n’était pas sérieux. Mais ça ne me fera me sentir mieux. Je m’en voudrai d’avoir oublié les glaces que Natacha m’avait explicitement demandées. Honte. Pleurs. Flagellation. Saut par la fenêtre…
Je me resape. Avec des vêtements propres - je sors de la douche. Exit la chemise noire et le pantalon kaki - dit ainsi, ça fait déguisement fasciste, non ? - remplacés par un jean gris tellement délavé qu’il vire au rouge et un t-shirt rayé blanc et noir - ich bin ein Pyjama-Pferd. J’ai troqué le caleçon - sale - pour un boxer - propre - mais ça ne se voit pas de l’extérieur et des chaussettes à rayures pour d’autres chaussettes à rayures. J’enfile les mêmes pompes - on ne va pas tout changer d’un coup.
Sur le chemin du retour au supermarché, petite panique. Grosse panique. Comment ne pas passer pour un con en visitant deux fois, à une heure une heure et demie d’intervalle le même supermarché ? Que dire à la caissière pour ne pas paraître idiot ?
Quand on n’a pas de tête, on a des jambes ? Non, il me faut quelque chose de plus inventif. Je ne vais sortir une phrase toute faite, entendue des milliers de fois. Et puis, c’est la phrase qu’on est obligé de prononcer avec un sourire et un clin d’œil. Et à laquelle elle sera obligée de répondre par un sourire voire un petit éclat de rire… et alors, on va croire qu’on flirte, que je la dragouille et qu’elle se laisse faire… non, non, j’ai déjà assez de mon ex-non-élève chez Gibert qui me fait de trop grands sourires quand je m’achète un disque, je voudrais pouvoir m’acheter des pâtes et du PQ tranquille, sans ambiguïté.
Naturellement, en 400-500 mètres, j’ai trouvé la solution - rien ne vaut la
marche à pied pour trouver idées et solutions. Je suis habillé différemment. Je viens acheter un petit plaisir sucré alors qu’il y a une heure j’achetais betteraves, jambon et lentilles. Je suis donc autre. Identique mais autre.
Je dirai à la caissière que ce n’était pas moi tout à l’heure. Que c’était mon jumeau. Qu’il est légèrement plus petit, a les yeux moins bleus et n’est pas aussi beau que moi. Avec un clin d’œil et un sourire. Qu’il s’habille comme un courtier en assurance alors que je suis plus cool, que je suis l’artiste de la fratrie. Ça la fera rire.
J’ai trouvé les glaces - je n’avais rien d’autre à penser cette fois. Pas de la marque que j’espérais… mais celles-ci ont l’air meilleures.
Une seconde caisse s’ouvre devant moi quand j’arrive pour payer. Caissière différente. Qui ne me jette même pas un regard mais traite ma boîte d’esquimaux avec négligence voire brutalité…
Natacha, à la fin du dîner, a préféré qu’on mange les fraises que j’avais achetées lors de mon premier passage en caisse. Avant qu’elles ne s’abîment… par ces chaleurs…