Pour la première fois depuis bien longtemps, cette année, nous n’avons pas envoyé de cartes postales depuis nos vacances. Ni des
Sables d’Olonne ni de
Saint-Clément-des-Baleines (quel nom de commune magnifique) ni de Cabourg ni de
Limoges ni d’
Étretat. Remises à plus tard -
on en enverra depuis l’Île de Ré nous disions-nous aux Sables,
on en enverra depuis Cabourg nous disions-nous une fois sur Ré… - puis oubliées -
on a rien oublié ? s’interrogea à haute voix Natacha alors que nous étions depuis quelques centaines de mètres à peine sur la route (encore étroite à cet endroit - impossible de croiser un véhicule qui viendrait en sens inverse) du retour définitif vers Versailles. Elle parlait d’affaires personnelles que nous aurions éventuellement laissées derrière nous dans le gîte que nous avions loué pour la semaine.
Les cartes postales, on a oublié d’en acheter ! lui ai-je répondu un peu à côté de la plaque… mais c’est à ce moment-là que je m’en étais rendu compte…
Nous aimons pourtant en envoyer, des cartes postales. Comme nous aimons en recevoir. En revanche, nous n’aimons pas les écrire, les cartes postales. Ni Natacha (qui délègue à vous devinez qui) ni moi (qui n’ai personne à qui déléguer et qui me tape le sale boulot). C’est une véritable corvée - qu’on s’inflige volontairement car nous aimons vraiment envoyer des cartes postales - que d’écrire les cartes postales.
Qu’y a-t-il d’amusant à écrire une carte postale ? Il n’y a rien de plus mécanique, de plus automatique que l’écriture d’une carte postale.
Coucou. Nous profitons de nos vacances à xxx. Il fait beau mais pas trop. On se balade à pied, à vélo, on visite yyy et zzz, on bronze sur la plage. Bisous. MLM et Natacha et Souris. Gni.
Impossible d’échapper à ces sentiers balisés. Impossible de faire sans ces lieux communs. Le destinataire d’une carte postale qui n’apprendrait pas par le biais de ladite carte la météo qu’il fait et les balades qu’il y a à faire sur le lieu d’expédition de la carte se sentirait floué, volé, escroqué. Ne comprendrait pas l’intérêt de la carte. Vexé. La météo et les visites sont des passages obligés de la carte postale. Des indispensables.
Pour la touche personnelle, il faudrait pouvoir miser sur la formulation, sur le style… mais c’est une illusion, une impasse… j’en ai envoyé, plus jeune, des cartes dans lesquelles je me suis amusé avec le style et la présentation… phrases alambiquées, jeux de mots, rimes bancales, cartes écrites de la main gauche ou avec les pieds… les destinataires systématiquement se sont sentis obligés de répondre par une carte… - c’est souvent le cas, les gens à qui vous envoyez des cartes vous en adresse en retour - et de surenchérir… et je me suis senti obligé à mon tour d’en faire plus. Si bien qu’à la fin de l’été, la correspondance devenait illisible… c’était du Joyce (celui de Finnegan’s Wake) écrit en calligrammes ou aux lettres inversées par un effet miroir. Or, l’été, à la plage, on a envie de se vider la tête, on a juste envie d’un bon vieux polar ou d’un best-seller vite lu vite oublié, pas d’un chef d’œuvre d’illisibilité.
La météo, les activités de plein air. Platement. Sans plus.
Et que pourrait-on écrire de plus ? Il n’y a pas de place sur une carte postale pour s’étendre davantage. C’est minuscule une carte postale. 10 cm de large, 15 cm de long. Comment faire original, comment développer une idée amusante - ou supposée l’être - sur si peu de place ? Une fois qu’on a écrit qu’il fait beau et que la chapelle de Saint Glinglin est magnifique, il n’y a plus de place sur la carte postale. D’autant moins de place que la moitié de la carte est bouffée par le timbre et l’adresse.
Que de peu place perdue, en effet, sur une carte. Et ce, par simple manque d’imagination, d’originalité.
Si, par exemple, les noms de rue étaient différents dans chaque commune, s’il n’y avait pas, en France, quinze mille avenue de la République, avenue de la Liberté, rue Jean-Jaurès, place de la Nation ou boulevard MLM, si une rue dans une commune n’avait pas d’homonyme dans une autre des 36000 communes, on pourrait s’économiser l’indication du code postal et de la ville de l’adresse. On saurait que la rue de la République se trouve à Versailles et pas ailleurs, que la place de la Nation se trouve à Bastia et nulle part ailleurs et que l’avenue Maurice L. Maurice traverse
Saint Maurice des Lions et nulle autre commune. Voilà un gain de place, un tiers de l’adresse en moins ! Seulement ça demanderait à nos édiles de se casser un peu la tête et la binette et le cul pour inventer des noms de rues qui sortent de l’ordinaire.
Mieux, si à l’heure de l’informatique omniprésente, on était (enfin !) capable de tenir un annuaire en ligne parfaitement à jour, on aurait uniquement besoin de préciser sur la carte le nom du destinataire, rien d’autre. Il suffirait de consulter le registre national, une affaire de millisecondes pour un
supercalculateur, pour faire suivre la carte au bon endroit… ça demanderait un peu plus de temps au facteur, peut-être… ce temps, il le prendrait sur son temps de lecture de cartes postales - car,
on le sait, les facteurs lisent toutes les cartes postales (surtout qu’il y en a de moins en moins, ce plaisir factoriel se fait de plus en plus rare et, par conséquent, de plus en plus précieux) pendant leur tournée…
Juste le destinataire : encore de la place gagnée, libérée, délivrée !
Et pour les quelques homonymes de l’annuaire, pour la poignée de Jean Dupont mariés à des Marie Dupont née Martin, ils n’auraient pas à s’inquiéter d’éventuelles interversions entre cartes postales, craindre de recevoir une carte destinée à un autre Michel Durand ou que la carte qui leur était destinée se retrouve dans les mains d’une autre Nicole Dubois : ça ne changerait dans le fond pas grand chose… tout le monde de toute façon écrit exactement les mêmes banalités sur les cartes postales…