Dans le Métro
L’usager du métropolitain est plus prévisible que les coups de marteau du voisin lors de l’inauguration de ma sieste ante-méridienne, plus prévisible que l’apparition de certains symptômes liés à la Covid-19 (déshydratation, souffle court, sensation de fatigue) après un marathon, plus prévisible encore que l’incompétence crasse de nos gouvernants à gérer efficacement une crise. L’usager régulier du métro, celui qui d’un geste rapide, mécanique, plaque son badge d’accès (appelé Pass Navigo) sur la borne de validation des titres de transport et franchit sans même ralentir les portiques d’accès aux couloirs émaillés de carreaux blancs et parfumés à l’ammoniaque est plus prévisible encore : il est plus facile à décrypter qu’un article de 20 Minutes.
Demandez-leur, aux usagers du métro, pourquoi ils le prennent, le métro - idiotisme un peu étrange, il me semble, prendre le métro, dès lors que c’est le métro qui accueille les usagers en son sein, que c’est le métro qui, donc, les prend, les usagers, davantage que ce n’est l’inverse - pourquoi ils se serrent ainsi, dans les wagons, les uns aux autres et échangent plus de fluides corporels (sueur, larmes, postillons... ; par inhalation directe ou par contacts successifs avec les barres de métal destinées à faciliter, malgré les mouvements de la rame, la station debout) qu’un acteur et une actrice lors du tournage d’une scène d’un film pour adultes, pourquoi ils s’entassent ainsi, volontairement, dans un espace aussi confiné - Dans le Métro, va finir par croire le lecteur en quarantaine, est décidément un texte de circonstances - ils vous répondront - du moins, ceux qui accepteront de vous répondre ; ils ne sont, en général, pas nombreux, les usagers du métropolitain enclins à entamer une conversation avec un ou une inconnu(e) - qu’ils se rendent à leur travail ou, au contraire, rentrent du boulot, heigh-ho ! heigh-ho ! selon un mouvement que certains spécialistes des comportements humains contemporains qualifient de déplacement pendulaire et que d’autres résument plus lapidairement par l’expression métro-boulot-dodo.
On reconnaît bien, dans l’usager du métro, l’homo capitalisticus, qui ne vit en semaine que pour gagner de quoi mériter et s’autoriser un court repos dominical - repos qui lui permettra de supporter une nouvelle semaine de labeur. On reconnaît bien, dans l’usager du métro, le workaholic qui à la question Que faites-vous dans la vie ? est incapable de répondre qu’il respire, mange, boit, baise, se promène, rit, pleure, écoute, regarde, goûte, touche, sent, ressent, poétise, s’émeut, souffre, s’enthousiasme... et se contente de réciter son curriculum vitae et de vanter sa position sociale. Rien d’autre ne compte dans l’existence de l’homo economicus que son travail qui, il en est persuadé, ce pauvre fou, le rend chaque jour un peu plus libre. Privez-le de son occupation professionnelle, le voilà désoeuvré, il se meurt et se morfond au fond de son lit. Quand pourrai-je enfin retrouver le chemin de mon activité qui est à la fois mon identité et ma raison d’être ? Quand pourrai-je reprendre le métro et retourner au turbin ?