jeudi 30 avril 2020

Oz

Le magicien fait sortir de son chapeau un lapin... Les enfants sont bouche bée, les yeux grand ouverts. Les adultes sourient d'un air entendu. Tout le monde applaudit de bon cœur. Les bravos fusent.
Je ne suis en rien impressionné. Sortir un lapin de son chapeau n'a rien d'épatant... le magicien l'a juste tirer de là par les oreilles... D'ailleurs, le lapin ne demandait que ça, d'en sortir, du chapeau, il suffisait de le laisser faire...
Moi, ce que je voudrais savoir c'est comment il l'y a fait entrer, dans son chapeau, le lapin, ça me semble bien moins évident...


Le magicien découpe son assistante (avez-vous remarqué que ce n'est jamais un homme qui assiste le magicien ?) en deux à la scie. La jeune femme ne pousse pas un cri. Les deux moitiés de son corps sont séparées. Elle sourit. Applaudissements de la salle.
J'aimerais bien connaître le truc. Des amputations sous forte de dose d'anesthésiant, on en a déjà vues plein. Mais à chaque fois que j'ai essayé de réaliser le même tour (je suis autodidacte), il y avait du sang partout... des heures de nettoyage... Comment fait-il, le magicien ?

mercredi 29 avril 2020

Expérience Confinement Déconfit

Ne pas gâcher non plus les restes de peinture (à l’huile) sur la palette. C’est une des idées derrière la série Expérience CD (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 7bis). La dernière née de la série, la neuvième (dixième ?) donc, renommée Confinement Déconfit bien qu’elle ait été amorcée avant la période actuelle d’enfermement, collecte ce qui ne m’a pas servi sur l’ensemble du mois de mars.

Une nouvelle Expérience CD, d’un (un peu) plus grand format a été entamée le 14 avril. Il va me falloir du temps pour la mener à terme.

Expérience CD (Confinement Déconfit)
01.03.2020 - 02.04.2020
(10,5 cm x 14,5 cm)

mardi 28 avril 2020

La Roulette Russe (26)

Pour des raisons sanitaires, toutes les compétitions sportives, toutes disciplines confondues, ont été annulées de par le monde. Toutes ? Non... La peur de mourir n’a jamais fait renoncer un véritable amateur de Roulette Russe.


Grâce au confinement et à la nécessité que celui-ci impose de trouver de nouvelles sources de divertissement pour tromper l’ennui, nombreux sont ceux qui ont récemment découvert les plaisirs de la Roulette Russe. La Roulette Russe a donc gagné (et, forcément, aussitôt reperdu) un grand nombre de nouveaux pratiquants au cours des six dernières semaines.


L’écart entre la surmortalité observée par l’INSEE en mars et avril et les statistiques officielles des victimes de la Covid-19 fournies par le gouvernement ne s’expliquerait-il pas par un regain de popularité de la Roulette Russe auprès des foules durant le confinement ? Dire que certains crient déjà au complot et au bidouillage des chiffres...



MLM tient à souligner la contribution essentielle de Natacha sur ce billet. Sans elle, il n’aurait probablement pas été écrit.

lundi 27 avril 2020

Sans autre but que l’enfermement

Près de deux semaines sans gouâchis, gribouillis ou autre amas informe de couleurs ou de gris... ça vous avait manqué, n’est-ce pas ?

Triple dose cette semaine, du coup... première aujourd’hui.

J’aime ne pas gâcher. Ce qui ne veut pas dire exactement la même chose que je n’aime pas gâcher.
Je l’ai déjà dit, de chacun de mes gribouillis, par exemple, j’essaie de tirer quelque chose d’un peu plus construit. Pour que mes gribouillis ne soient pas que des gribouillis mais deviennent (a posteriori) des idées voire des visions... C’est ma série des Sans Autre But (cf. ici, ici, ici, ici et ici).

Cette fois, le gribouillis, au côté duquel, dans mon carnet, se trouvait un très pitoyable jeu de mot rhétais, était si réduit, si insignifiant, que j’ai décidé d’en faire non un mais trois Sans Autre But, sous forme de triptyque.


Gribouillis
Carnet de MLM


Sans Autre But que l’Enfermement 01 - 15.04.20
(13 x 13 cm)


Sans Autre But que l’Enfermement 02 - 16.04.20
(13 x 13 cm)


Sans Autre But que l’Enfermement 03 - 17.04.20
(13 x 13 cm)


Sans Autre But que l’Enfermement - Triptyque
(42 x 30 cm)

dimanche 26 avril 2020

En Retard (47)

Et les burins ? J’y viens.

Je me relève péniblement. Mal au crâne. Les burins n’aident pas d’ailleurs... Sensation de brûlure aux yeux. Bouche pâteuse. Langue chargée. Je ne serais pas contre un petit verre. Légère désorientation. Je me dirige à pas hésitants vers les apprentis sculpteurs qui s’affairent sur un bloc de marbre ou de plâtre ou d’une roche quelconque - je vous l’ai dit, je ne vois pas bien, la faute aux lacrymos...

Non, non reste là-bas. Ne bouge pas. Garde la pose. Sinon, on va pas y arriver... on est pas des pros... Bouge pas...
Malgré les supplications de mes camarades marteleurs, je continue de m’approcher et découvre avec stupeur et tremblements (nothomb au passage la très mauvaise référence littéraire...) qu’ils se sont attaqués non pas à de simples blocs de pierre mais directement aux œuvres exposées dans le musée de l’Arc de Triomphe... et qu’ils y sculptent ou tentent d’y sculpter mon propre visage... ils veulent me rendre hommage, rendre hommage à celui qu’ils considèrent comme l’initiateur du mouvement... celui qui, par sa gifle, a donné l’impulsion première à la manifestation... un coup de pied dans la fourmilière.

Je ne suis pas opposé à être ainsi mis en valeur. Depuis le temps que j’attends d’être reconnu. Peu importe que ce ne soit pas pour mes talents. Peu importe qu’on m’admire pour une chose à laquelle je me sens totalement étranger. L’important c’est le succès, pas ses causes. Simplement, je n’ai pas le temps. Je suis en retard. Très en retard. La gloire, la patrie et les sciences attendront.

Désolé, les gars, pas le temps. Et puis... j’en ai assez de cet épisode... faut que je passe à autre chose pour la suite du texte... ça ne m’inspire plus trop, cette manif...

Et, toujours chancelant, je commence à descendre les marches qui doivent me ramener au plancher des morts aux vaches. Derrière moi, j’entends se briser les sculptures que l’on projette au sol...

samedi 25 avril 2020

En Retard (46)

Je reprends mes esprits dans une pièce mal éclairée, au milieu de bruits de burin.

Aucun suspens, je vous l’ai dit, je vous l’ai annoncé il y a 3 semaines, une éternité : nous sommes à l’Arc de Triomphe, dans l’Arc de Triomphe, au milieu de l’Arc de Triomphe, dans l’antre de l’Arc de Triomphe - je ne sais comment on dit - nous y sommes.

C’est là que les manifestants se sont repliés après une charge particulièrement violente des forces de l’ordre. Aux inoffensives balles de caoutchouc tirées par les manifestants bon enfant à l’aide de pistolets en plastique de la marque Flashball chapardés à Monoprix, les keufs ont répondu par des lancers de pavés arrachés à la plage qui s’étend sous la chaussée.
Il faut dire que ledit Monoprix se trouve à proximité du Fouquet’s, sympathique brasserie populaire où aiment à se réunir autour d’un poulet rôti et d’une Corona, politiques en bras de chemise, chefs d’entreprise en polo ou en Audi et stars du showbiz incognito mais pas trop, pour discuter entre amis du championnat qatarien de football et des prix prohibitifs du logement social parisien.
Le chahut provoqué par les balles rebondissantes des manifestants a achevé d’envenimer les relations de voisinage entre le magasin et le restaurant devenus féroces concurrents depuis que celui-là s’est mis à vendre des sandwiches à moins de douze euros et a permis à sa clientèle de les manger sur place, sur un tabouret haut, derrière la vitrine, avec vue sur l’avenue et sur... la devanture de celui-ci... ce bruit somme tout innocent, certes accompagné de quelques détonations de pétards, a même littéralement mis le feu aux poudres... la terrasse du restaurant s’est embrasée... et la flicaille, toujours prompte à se ranger en épi ou en double file du côté des riches impuissants, a entrepris de faire des ricochets sur les jets d’eau des lances à incendie des pompiers qui tentaient de noyer le poison de la révolte des haltères mondialistes - je n’y connais rien en épaulé-jeté de pavés dans la mare.

Du moins c’est ce que je comprends aux explications brumeuses que me fournit un de mes compagnons triompharcaux... Je m’étais pour ma part évanoui après m’être pris de pleine face - aveuglé par les lacrymogènes, je n’y voyais pas à trente centimètres - un réverbère - n’ayez crainte, je ne vais pas, pour gagner du temps, vous recopier ici L’Appeau de Banane - et avais dû être exfiltré dès le début des combats...

vendredi 24 avril 2020

Lettre Compte Double (4)

Idée. Et si, pour former le double v (le w ?), les deux v n’étaient pas joints par la queue mais par la pointe ? Le x, qui, malgré tout ce que j’ai pu baver sur son compte, garde toute mon estime, candidate alors sérieusement au titre de w (de double v ?). Et l’insoluble problème de la prononciation de cette ignoble lettre - problème que j’avais jusqu’ici réussi à passer totalement sous silence, retardant habilement l’échéance, repoussant autant que faire se peut l’inéluctable débat sans fin - prend alors nouvelle ampleur : on ne sait déjà pas si le double v doit se prononcer v ou ou... pensez si on ajoute la prononciation x dans la bataille.
Nous croyions être au bout de nos peines après nous être cassé le poignet et tordu les doigts à tracer correctement le w comme deux v qui se suivent et se chevauchent quelque peu, voilà qu’il faut y mettre la langue préalablement fourchée...
Qui sera capable de me dire comment on prononce correctement ? ouallon ou vallon, ouombat ou vombat ? ouelche, velche, xelche ? ouagon, xagon, vagon ? ouylophone ou vylophone ? vénogreffe ? ouénogreffe ? Je ne sais pas, je ne sais plus - je fais un rejet...


Recentrons-nous un peu, nous nous égarons. Et posons-nous la question essentielle sous-jacente à cette histoire de w : Qu’a-t-il fait de si formidable le v, lui toujours à deux doigts de la victoire, pour, seul parmi les 25 lettres de l’alphabet (w non compris), mériter de se voir jumellisé, siamoisé, méiosé, mitosé, crossing-overisé ? Alors que le t doit, lui, se dédoubler pour une simple lettre, quand on pourrait faire appel à un double p, quand on s’emmerderait moins si le double m existait ? Et ce fleuve qui inaugure le dictionnaire versant noms propres, ne rendrait-on pas mieux compte de sa faible longueur, de sa totale insignifiance si son nom ne comportait plus qu’une seule lettre, fut-elle double ? Un peu d’imagination, un peu de créativité, que diable ! Aurait-on moins de ressources que nos voisins d’outre-Rhin qui, pour faire de leur sombre passé table rase, ont inventé une lettre supplémentaire qui tient du bêta, le eszett ? Sommes-nous des incapables ? Que font nos doctorants en lettres ? N’est-ce pas leur boulot, d’en trouver, des lettres, justement ? Des chercheurs qui cherchent, on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche, disait Charly de Gaul.

Cher lecteur, je te sens à bout. Tu en as marre, assez. Saoulé, gavé. Plein le cul... tu frôles l’overdose.... Je m’arrête donc là. Tu me comprends désormais. Tu ne peux plus voir le w en peinture. Ni en littérature. Pérec (encore lui... ça tourne à l’obsession) et son Souvenir d’Enfance, nous n’en voulons pas, nous n’en voulons plus, qu’il nous épargne ses traumas, nous avons déjà les nôtres... Relisons plutôt Dans la Boîte, lecture qui nous servira contre le w de vaccin qu’on pourrait simplifier en vaxin et prononcer vavin ou vaouin...


PS : Et le towique tungstène, quel est son rôle dans cette affaire ?

jeudi 23 avril 2020

Lettre Compte Double (3)

Une question te brûle les lèvres. Elle est légitime - il n’est pas de question idiote t’a-t-on dit et répété à l’école - n’hésite pas. Pourquoi le w ? Et pas le z ou le x ou le k ? La réponse est simple : si je ne porte pas vraiment le y dans mon coeur - je ne m’étendrai pas sur ce point... du dégoût et des couleurs, blabla... - je hais viscéralement le w. Je le déteste, l’abhorre, l’abominable, l’exècre, l’honnis, le méprise, le conchie et le maudis - le W d’ailleurs ressemble à un M à l’envers : nous y reviendrons si l’occasion fait le lardon.

Le w, double v, me tourmente. Précisément en refusant de l’être, ce v double, ce v doublé, ces deux v qui se suivent et se rapprochent et se lient pleins et déliés comme le e dans l’a - téitéi a - en n’y ressemblant pas, quand je dois me résigner à en écrire un à la main, un w, à la plume, cursivement, à deux v accolés. Il n’y ressemblait déjà qu’à moitié, le w, à deux v englués quand, en classe de Cours Préparatoire, je devais tracer des lignes entières de v et de w - mais pas seulement des v et des w, toutes les lettres y sont passées, on se serait cru en pleine copie de volumes issus de la Bibliothèque de Borges - dans les cahiers d’écriture aux lignes étranges que l’on utilise à cet âge. Il n’y ressemble plus du tout, le w, à deux v liés, maintenant que mon w s’est arrondi en oméga - je voulais faire du grec, non du latin, éternelle frustration - et que mon v pointe, menaçant, vers le bas.
Il n’y a guère que sur le clavier de ma JAPY pas exactement portative ou sur celui de mon ordi que le w ressemble effectivement à deux v - notable exception.
Non, vraiment, si le w est un double v, alors, tant qu’on y est, pourquoi pas ?, le m est un double n, le ü est un double i, le q est un d retourné, le g une fusion du a et du y et le j, la somme d’un g et d’un i à laquelle on aurait retranché le o soit j = a + y + i - o / on confine au plus grand n’importe quoi... De qui se moque-t-on ? Réduisons directement l’alphabet à douze ou onze lettres ! On pourra toujours blâmer textos, SMS, MMS et chats pour l’appauvrissement de la langue... y fon ke suivre le mvt, lol, ptdr...

Toujours partisans de la fuite en avant et du moindre effort, les anglophones, Cainris, Merloques, Rosbifs, Britons et autres vassaux de l’Albion Perfide, constatant le refus d’obtempérer du w, lui ont depuis longtemps cédé et l’ont renommé deubeuliou - double toi, double vous, double u - espérant sans doute, dans leur vision simpliste du monde et de la façon dont les mots - et donc les lettres qui constituent ces derniers - traduisent l’univers, que le problème du double v qui n’en est pas un, un v double, se résoudrait de lui-même en le déplaçant une lettre plus tôt, au u, et en séparant dans l’alphabêtagammadelta la lettre de son double - le v désormais dépossédé de son double servant d’isolant...
Ça ne résout rien, évidemment. Si le w est un double u alors, tant qu’on y est, le m est un double n, le h un k défrisé, le q un d retourné... on n’est pas plus avancés...

L’allemand, langue rigoureuse s’il en est, dans laquelle il est une place pour chaque mot et chaque mot a sa place - c’est même une langue anti-évangélique : à la fin, était le verbe... - où chaque lettre doit être prononcée sans en omettre aucune, appelle le w v - vé. Comme si le v - fao - n’en était pas un ou alors n’était plus qu’un demi w - ce qui n’est pas équivalent à ce que le w soit le double du v, l’alphabet échappe à la logique mathémateuse. Bref, nous n’y voyons guère plus clair, la solution ne viendra pas de l’étranger, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes.

mercredi 22 avril 2020

Lettre Compte Double (2)

Oh, et si, pauvre fou de toi, tu as lu Dans la Boîte hier soir, au lit, et qu’aussitôt terminée ta lecture, tu as, dans un geste automatique, mécanique, éteint la lampe de chevet et t’es installé sur le côté, sur le flanc, en chien de fusil, pour dormir, ton état doit être pire encore. Le marchand de sable t’a posé un lapin complet et de la nuit tu n’as trouvé le sommeil réparateur. Tu t’es tourné, tourné, tourné et retourné entre tes draps roses (quelle groupie tu fais), tu as repoussé la couette - tu étais trempe, en sueur - tu l’as remontée jusqu’aux épaules - des frissons te parcouraient l’échine et le derme - et si, un bref instant, quelques secondes minutes à peine, tu as pu fermer les yeux, ce n’était que pour mieux te réveiller en sursaut, dans un cri d’enfant terrorisé.
J’avais pourtant précisé annoncé prévenu indiqué dès le début du texte, dès le titre : Dans la Boîte suivi de Lettre Compte Double, Lettre Compte Double précédé de Dans la Boîte... Il ne fallait pas faire de pause entre les deux textes qui, en conséquence, n’en forment plus qu’un, il ne fallait pas t’interrompre dans ta lecture.
Je ne te blâme pas, je ne fais que me dédouaner, au moins partiellement : torts partagés, nous sommes quittes ou doubles.


Tout est Dans la Boîte, l’origine de ton mal comme le remède, tout s’est mis en place en quelques phrases, tout sera guéri en quelques mots, il n’en paraîtra bientôt plus rien et nous pourrons ensemble rire - ha ha ha hi hi hi ho ho ho ; pourquoi donc personne ne rit en faisant hu hu hu ? - du bon tour que je t’ai joué.

Considère tes symptômes. Que t’évoquent-ils ? Établis ton diagnostic.
Un état de manque ? J’aurais réussi à te rendre accroc à mes scribouilleries ? C’est ce que tu penses ? Au point que tu ne puisses plus t’en passer, pas même quelques secondes ? qu’il te faille ta dose quotidienne de jeux de mots et d’onomatopées détournées ? ta ration journalière de maximes approximatives et de lapalissades assumées ? Crois-moi... si j’en avais la faculté, je ne me priverais pas...
Tu n’es cependant pas loin d’avoir raison... tu chauffes tu brûles attention tu refroidis tu chauffes de nouveau. Reprends Dans la Boîte. Parcours ses lignes. Cherche bien, le célèbre vers de ce bon vieux Alphonse en tête, cherche. Oublie le nullissime jeu de mots final, garde toi de toute tentative d’interprétation du texte - il n’y a ni métaphore ni symbole no allégorie ni apophtegme ni chiasme ni métonymie ni oxymore ni zeugma - concentre toi uniquement sur les lignes, sur les phrases, sur les mots, sur...
Voilà, tu y es, tu as trouvé. Ta douleur déjà s’évanouit. Un sourire, un peu crispé encore, se dessine aux commissures de tes lèvres. Mettre un mot sur les maux est toujours le premier pas vers un prompt rétablissement de tous mes vœux. Oui, ce que tu ressentais au plus profond de toi, ce manque, était de la nostalgie. La sensation d’une perte. L’aiguillon de l’absence. Une seule lettre vous manque et tout est dépeuplé : Dans la Boîte est un lipogramme.

Bien entendu, tu t’en veux de ne pas l’avoir remarqué plus tôt, tu éprouves un peu de honte à t’être fait prendre à ce vieux piège usé par plus de 25 siècles de pratique, tu te dis que notre alphabet n’est pas si riche - je n’écris ni en idéogrammes ni en hiéroglyphes - qu’une lettre sur vingt-six à la trappe, ça devrait te sauter aux yeux, qu’une telle Disparition ne devrait pas passer inaperçue. Ne te flagelle donc pas tant, ne sois pas si dur avec toi-même - charité bien ordonnée ne fait pas le moine - nous sommes tous faillibles.

De plus, je peux me vanter d’avoir été subtil. J’ai choisi la discrétion. Tu me connais, je ne suis pas du genre à étaler ma brillante technique pour contourner les difficultés grammaticales inhérentes à la privation du s, pas du genre à puiser des mots rares et oubliés dans ma collection de dictionnaires antédiluviens pour trouver de vagues synonymes aux mots qui me seraient interdits à cause d’un e, d’un l ou d’un m que j’aurais banni. Pour ce qui est d’écrire tout un bouquin délesté d’une lettre du bécédé, fut-elle première, quelle dèche d’humilité, je ne me sustente point de ce pin-ci, je suis plus vicieux, plus retors, je construis mes scribouillis l’esprit exempt de tout désir de briller.

mardi 21 avril 2020

Lettre Compte Double (1)

Lettre Compte Double

précédé de

Dans la Boîte


Cher Lecteur - tu permettras que je te tutoie,

Je te dois mes plus plates et insincères excuses. Moi qui devrais te choyer, toi, ami si rare - quasi unique - ami si précieux - pense à faire un don, j’accepte les chèques - ami si patient - jamais tu ne te plains de ma faible productivité ; pourtant avide de mes calembours et bourre et ratatam, tu attends, à la fois fébrile et stoïque, que mon œuvre doucement s’intégrale, sans jamais venir fouiner dans mes brouillons ou fouiller dans ma corbeille à papiers à la recherche d’ébauches et d’inédits - moi qui devrais te cajoler, te bichonner, te chouchouter, te minoucher, te passer de la crème et tes moindres caprices, te lécher les bottes et ton divin postérieur et cætera et cætera... je ne peux m’en empêcher... c’est plus fort que moi... comme une seconde nature...  toujours, sans cesse, il me faut te malmener, te prendre à rebrousse-poil, t’en faire voir de toutes les couleurs et des vertes et des pas mûres avec mes textes qui ne mènent nulle part, tournent en rond, ne font que creuser encore et encore le même sillon pour mieux s’embourber, avec mes constantes nouvelles idées, à mon goût évidemment géniales, en réalité inabouties, à peine suffisantes pour emplir un paragraphe que je raccrocherai artificiellement à un vieux texte en cours de rédaction depuis des années, à un de mes multiples projets reporté sine die, sans arrêt définitivement abandonné puis remis sur le tapis, à jamais proche d’être mené à bien, avec mes centaines de pages de brouillons qui ne sont que ressassements et finiront en un galimatias d’à peine 1717 mots...


Tu viens d’achever ta première lecture de Dans la Boîte.
Claustrophobie ? Sentiment d’enfermement ? D’étroitesse ? Manque d’espace ? Besoin de grand air ?
Non ? Rien de tout cela ?

Crois-tu mon effet raté ? Crois-tu que j’ai cette fois échoué dans mon entreprise de manipulation ? Que le marionnettiste s’est emmêlé les fils ? Tu crois t’en tirer à bon compte qui fait les bons amis ?
Pourtant, ne le nie pas, tu te sens patraque, mal fichu, un peu... quelque chose ne passe pas, quelque part dans l’estomac ou dans les tripes ou en travers de la gorge, comme une écharde dans le pied à l’étrier, la paille dans l’œil du voisin, un doigt dans l’engrenage à contre-courant, a flatulent pain in the ass... sans compter ce grincement de dents que tu ne peux réprimer et ce sanglot que tu étouffes à grand peine.
Un simple dérangement gastrique ? Une petite diète ne te ferait certes aucun mal - une petite diète ne peut jamais faire de mal : faites ce que je dis, pas ce que je fais...
...cet en-cas que tu as avalé, que dis-je ?, englouti, gobé - tu étais si excité, après une si longue attente, des semaines, des mois, des siècles, Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? je ne vois que le soleil qui... oh, si, enfin, un nouveau texte de MLM ! mieux ! deux nouveaux textes ! nous sommes sauvés de l’ennui bleu-barbant... - juste avant de dévorer Dans la Boîte, tu aurais dû prendre le temps de correctement le mâcher, le mastiquer - depuis le temps qu’on se tue à te le dire et répéter... le temps du repas est précieux, sacré, jamais perdu... mange moins vite et ne parle pas la bouche pleine...
...mais non, il ne s’agit pas d’une indigestion. Ni l’acidité de ton estomac ni le gras de ton foie ni la fenaison de ta flore intestinale ne sont à l’origine de ton piteux état...


Pas plus que tes soucis professionnels ou tes peines de coeur : ils n’ont ici pas voix au chapitre, pas même au paragraphe.

lundi 20 avril 2020

Dans la Boîte (12)

Mon estomac proteste. Mes intestins borborygment. Mes membres, antérieurs et postérieurs, flageolent. Mes lèvres tremblent. Je sens monter (et descendre) une faiblesse. Hypoglycémie. Fringale. Dalle. Crocs. Impression de me vider de l’intérieur. De fondre de l’intérieur. Mes organes internes rétrécissent. Mes organes internes se consomment eux-mêmes. Je ne remplirai bientôt plus la boîte. Je ne toucherai bientôt plus ses bords, ceux de la boîte. Qu’adviendra-t-il alors de moi ? Qu’adviendra-t-il alors de la boîte ?

Manger dans la boîte ? Dans cette position ? À condition de ne pas avoir peur de se salir. De s’enduire et de se tartiner la peau - qui en a bien besoin après un si long séjour dans la boîte : rashs, purpura, boutons et plaques purulentes prolifèrent déjà sur mon épiderme - et les poils de lipides et glucides et miettes et protéines et fibres et sels minéraux. Sans pour autant se sustenter.
Et la digestion dans la boîte ? Ainsi tassé, comprimé, serré, à l’étroit. Ça risque de mal passer, de ne pas descendre en pente douce...
Et les déjections ?

Ma décision est prise, je sors de la boîte :


FAIM !

dimanche 19 avril 2020

Dans la Boîte (11)

Pour me défendre, il faudrait sortir de la boîte. En sortir, de la boîte, au moins l’un ou un autre de membres postérieurs ou antérieurs. Pour parer. Esquiver. Riposter. Contre-attaquer. Ne pas se contenter d’encaisser. De subir.
Ai-je seulement une chance de l’emporter ? Ma défaite n’est-elle déjà consommée ? Sortir, même partiellement, ne serait-ce pas s’avouer vaincu ?
Je ne suis pas entré dans la boîte pour fuir. Me mettre à l’abri. Couler une vie paisible et sans obstacle et sans aspérité. Retirée. Éloignée des affres du monde. Vie cachée, vie heureuse. Entrer dans la boîte ne peut avoir la sécurité pour objectif.

Si je ne me défends pas - et, effectivement, je ne me défends pas, ce n’est pas qu’une supposition en l’air, une hypothèse formulée pour l’amour de l’art - si je fais le dos rond, si je supporte et encaisse les coups, n’est-ce pas la boîte elle-même qui finira pas y passer ? Par céder. Se déchirer. Partir en morceaux et en lambeaux et en poussière. Disparaître.
Et si l’ennemi n’était pas celui qui s’acharne sur le carton de la boîte ? Et si celui qui s’acharne sur la boîte était un ami ? Un bienfaiteur ? Un bon samaritain ? Si c’était pour mon bien, que l’on cherche à m’en faire sortir, de la boîte ? Si la boîte était le véritable danger ? Un piège qui se serait refermé sur sa proie, moi ?


L’attaque cesse aussi brusquement qu’elle avait débuté. À travers les trous dont est à présent constellé le carton de la boîte, nulle trace de l’assaillant. Évaporé. Enfui. Sublimé. La boîte est dans un état misérable. La boîte ne vaut plus le combat, ne mérite plus l’assaut.
Ai-je gagné ? Ai-je perdu ? Probablement les deux. C’est-à-dire ni l’un ni l’autre. Goût de défaite.

samedi 18 avril 2020

Dans la Boîte (10)

Je me suis établi, dans la boîte. Quand personne a priori n’y songeait, à s’y établir, dans la boîte. Personne pour sûr n’avait franchi le pas, de la boîte. J’ai pris tous les risques, je me suis lancé dans l’aventure. Seul. Sans demander à quiconque ni aide ni assistance ni soutien logistique ou moral ou autre. Et voilà qu’à présent, on cherche à me chasser de la boîte. À me faire sortir. À me déloger. À m’exproprier. À m’expulser. On cherche à prendre ma place. Ma place dans la boîte. Ma place dans ma boîte.
Toutes les boîtes, sauf ma boîte, la boîte que j’occupe, sont pourtant libres. Il suffit de m’imiter, de prendre de la graine, de s’inspirer, de tirer la leçon, les leçons, de faire mieux, d’améliorer, perfectionner, d’éliminer le superflu, de garder l’essentiel. Je suis prêt à partager mon expérience. Je n’ai rien à cacher. Aucun secret jalousement gardé. Je ne me soumets à aucun accord de confidentialité. Il reste tant à explorer, à découvrir, à inventer. Tant de boîtes. Je ne prétends pas que c’est facile. Ce n’est pas si ardu - ce serait me vanter.


Les coups désormais pleuvent sur la boîte. La boîte, le carton de la boîte, n’abrite qu’un temps d’un tel orage. Le carton contre une telle averse ne s’avère guère plus protecteur qu’une feuille de papier journal. La boîte, le carton de la boîte, n’amortit pas, presque pas, les coups, n’abrite pas des coups. Je les ressens, les coups, à travers les parois de carton auxquelles ma peau colle littéralement. Un papier journal me protègerait tout autant. Pas beaucoup moins. À peine moins longtemps.

vendredi 17 avril 2020

Dans la Boîte (9)

Jusqu’à présent, je n’ai parlé que de la boîte, que de ma boîte - le possessif est probablement abusif - alors qu’il y a plusieurs boîtes. Plutôt que la boîte, à chaque fois que j’ai dit la boîte, j’aurais dû dire l’une des boîtes. Il y a plusieurs boîtes. Qui varient. Par la taille, le volume, les dimensions, la qualité et la rigidité du carton, la couleur, les décorations extérieures, la présence ou l’absence d’inscriptions - HAUT BAS FRAGILE SALLE DE BAINS LIVRES DIVERS... toujours en lettres CAPITALES - sur le couvercle ou les bords de la boîte...
Il n’est pas à exclure qu’il y ait même des boîtes de bois ou même de métal.


La boîte que j’ai choisie, je l’ai choisie sans me préoccuper de sa décoration extérieure et sans estimer son volume intérieur. Je ne l’ai pas choisie non plus au hasard. J’ai choisi une boîte. La première. La plus proche de moi. Il y avait suffisamment de place pour moi dans la boîte, dans cette boîte, dans la boîte que j’avais élue, la boîte la moins éloignée de moi, suffisamment de place pour y loger mon corps, mon corps tout entier. Je suis entré, me suis installé. N’y aurait-il eu pas assez de place, dans la boîte, dans cette boîte qui est devenue ma boîte, que, peut-être, en cas d’échec, je serais allé tenter ma chance plus loin, dans une autre boîte. Je ne peux rien affirmer de ce que j’aurais alors décidé si je n’avais pu entrer dans la boîte, dans cette boîte. Le cas ne s’est pas présenté, il y avait de la place, suffisamment de place dans cette boîte, la boîte qui est devenue ma boîte.

jeudi 16 avril 2020

Dans la Boîte (8)

Je tourne en rond dans la boîte. Façon de parler. Disons que j’ai entamé une rotation. Sur moi-même. Une révolution. Dans un sens puis dans l’autre, dans l’autre sens puis dans le premier. Dans le sens direct, indirect, le sens horaire (notion relativement floue que celle de sens horaire dès lors qu’il en existe, des montres et des horloges dont les aiguilles tournent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre), anti-horaire, le sens rétrograde, le sens trigonométrique, le sens commun, le sens des affaires, le sens dessus-dessous. Le mouvement n’a rien d’aisé (mon corps emplit, à quelques interstices près, la totalité du volume de la boîte) ni d’utile (la symétrie centrale que le parallélépipède de la boîte admet assure la vanité de toute recherche de meilleure position par le biais d’une rotation) mais (il y a (presque) toujours un mais) se suffit à lui-même. Le mouvement constitue sa propre justification.
Combien de temps vais-je rester, demeurer, dans la boîte ? Qui sait ? Pas moi. Je ne sais. Je n’ai pas la réponse. Pas même un indice. Pas encore. Pas déjà. Probablement ne l’aurai-je, la réponse à cette question, qu’au dernier moment. Juste avant d’en sortir effectivement, de la boîte. Mieux vaut se préparer à un long séjour. Préparer mon corps, ma poitrine et mon dos et ma nuque et mes coudes et mes genoux, à un long séjour dans la boîte. Un peu d’exercice ne peut me faire de mal.

mercredi 15 avril 2020

Dans la Boîte (7)

Avec moi, dans la boîte, glissés dans les minuscules interstices laissés par mon corps, un bouchon de liège (sa base me laisse des disques grenache et syrah sur la peau), une pelote de fil (deux ou trois mètres environ, pas plus), une page de magazine chiffonnée, serrée en une boule compacte (elle ne serait de toute façon pas restée lisse bien longtemps, la feuille de papier glacé, dans la boîte dont mon corps occupe tout entier l’espace), un sac plastique. Au bouchon, au fil, au pochon, je ne leur trouve aucun usage, dans la boîte. Quant à ma page de magazine, je ne la lis pas, faute de trouver, dans la boîte, posture adéquate. Ils ne me gênent pas pour autant, ce bouchon, ce fil, ce sac plastique et cette boulette de papier. Je ne m’en débarrasse pas, de ce bouchon, ce fil, ce sac et cette boule, je ne les jette pas au loin. Je m’accommode de leur présence. Malgré leur inutilité.
Sait-on jamais ce qui peut être utile, dans la boîte, avant d’y avoir mis les pieds et les mains et la tête et le ventre et les fesses, dans la boîte ? Une fois à l’intérieur de la boîte, une fois qu’on y est entré, dans la boîte, il est trop tard. On ne ressort pas de la boîte pour aller chercher ce qui manque dans la boite et y retourner, dans la boîte. Ressortir, aller chercher ce qui manque et retourner dans la boîte est vain. On n’entre pas une seconde fois dans la boîte avec la même envie que l’on y est entré une première fois, dans la boîte. On n’entre pas une seconde fois dans la boîte.

mardi 14 avril 2020

Dans la Boîte (6)

Je pourrais dormir dans la boîte. C’est une occupation comme une autre du temps, dormir. D’une façon autre, certes, probablement moins appréciable et probablement moins réparatrice que si je n’y étais pas, dans la boîte, mais je peux y dormir, dans la boîte. Je suis déjà en position, pour dormir. Dans la position que j’adopte habituellement, lorsque je ne suis pas dans la boîte, pour dormir. En chien de fusil. Allongé sur le côté. Les jambes repliées sur la poitrine, embrassées. C’est ainsi que je dors. C’est ainsi également que je me tiens, dans la boîte. Il m’est impossible, dans la boîte, de me tenir autrement. Dans aucune autre position, je n’ai réussi à y loger mon corps tout entier, buste et tête et fesses et membres antérieurs et postérieurs et tronc et ventre, dans la boîte.
Je dormirais mieux, si je dormais - car, présentement, je ne dors pas, je ne fais qu’émettre une supposition ; et si je ferme les yeux (et je les ferme effectivement les yeux, je ne me contente pas de m’imaginer les yeux clos), c’est pour me concentrer, mieux réfléchir, plus facilement m’imaginer dormant (il parait que cela aide, de fermer les yeux, pour réfléchir et se concentrer ; pour ma part, je n’ai jamais constaté de réelle différence, jamais senti de réelle amélioration de mes capacités intellectuelles lorsque j’abaisse les paupières ; j’essaie tout de même, ça ne coûte rien d’essayer, je prends la pose) - hors la boîte, sur le canapé ou sur le futon, sous un plaid en laine, ou sur le lit, même un peu trop ferme, sous la couette, même un peu trop épaisse, calé sur un oreiller, même un peu trop mou. La boîte tout en arêtes et en coins et en angles droits n’offre aucun confort, mon corps tout en courbes et rebonds et arrondis s’adapte excessivement mal à ces lignes brisées.
Cependant. En y entrant, dans la boîte, je ne cherchais nullement le confort. Entrer dans la boite n’a strictement rien à voir avec une quelconque notion de confort, d’aisance, de bien-être, de luxe, de calme, de volupté. Le confort, c’était de rester en dehors de la boîte, de ne pas y entrer, dans la boîte. Il est toujours plus confortable de camper sur ses positions, de s’en tenir à ses petites et honteuses manies, de ne pas chambouler ses risibles et mesquines habitudes.

lundi 13 avril 2020

Dans la Boîte (5)

Que faire, une fois dans la boîte ? Une fois entré, dans la boîte ? Dois-je faire quelque chose, dans la boîte ? Suis-je supposé, censé y faire quelque chose, dans la boîte ? Y a-t-il besoin d’y faire quoi que ce soit, dans la boîte ? Y a-t-il quoi que ce soit à y faire, dans la boîte ? Y être, dans la boîte, alors qu’existe la possibilité de ne pas y être, dans la boîte, n’est-ce pas déjà faire quelque chose ? Être, dans la boîte ou non, n’est-ce pas déjà faire quand on pourrait ne pas être ? Dois-je en rajouter ? Dois-je en faire plus ? Davantage ?


Les divertissements, les distractions sont rares, dans la boîte. C’est une simple constatation. Un énoncé purement objectif d’un fait. Pas vraiment un problème, ceci dit. Je me satisfais, il faut dire, de peu. Un rien m’occupe. J’ignore l’ennui. Je peux passer des journées entières à regarder les feuilles voler au vent, à accompagner de claquements de langue les chants des oiseaux, à observer, sans interférer, par la fenêtre, la vie s’écouler à l’extérieur, à contempler, au plafond, le ballet muet des insectes, à m’inventer, dans les éclats de peinture du mur, des tests de Rorschach, à suivre chaque rai de lumière comme un phare dans la nuit. Je sais profiter de tous les spectacles, même des plus anodins, les savourer.

dimanche 12 avril 2020

Dans la Boîte (4)

J’aurais certes pu m’en remettre au hasard, laisser décider à ma place, d’y entrer, dans la boîte, ou de ne pas y entrer, dans la boîte, le côté pile ou le côté face d’un rond de nickel ou de cuivre ou de ferraille quelconque ou de cuir ou même de carton - il parait, j’ai lu ça, je crois me souvenir, que certains pays ont, par le passé, frappé monnaie en carton, matériau pourtant fragile, qu’on ne peut manipuler à l’envi - ou la couleur d’une carte tirée au hasard dans un jeu de 32 ou de 52 ou de 78 cartes ou le chiffre - plus précisément : le nombre à un chiffre - affiché sur la face d’un dé (en distinguant par exemple les nombres pairs des nombres impairs ou les nombres premiers des nombres composés).
Il faudrait pour cela admettre que le hasard existe. Il faudrait pour cela que j’ai conscience du hasard. Que j’accepte l’idée de hasard. Je m’y refuse. Pourquoi me priverais-je du divertissement, sans cesse renouvelé, procuré par la recherche d’explications aux apparentes coïncidences ? Le hasard, les probabilités, les statistiques, les mathématiques appliquées, tout ceci n’a aucun sens pour moi. Loi normale, variance, covariance, test de χ2 ne sont rien que du chinois à mes oreilles qui sifflent. En ce qui me concerne, pour ce qui me préoccupe, la boîte et son intérieur, la géométrie suffit amplement.

samedi 11 avril 2020

Dans la Boîte (3)

Je suis entré dans la boîte.

J’aurais pu ne pas y entrer, dans la boîte. J’aurais pu rester en dehors de la boîte. C’était une option tout à fait sérieuse. Acceptable. Envisageable.
Il faut bien l’admettre et le reconnaître et l’avouer, y entrer, dans la boîte, ne présente aucun intérêt. Si ce n’est le fait même d’y entrer, justement, dans la boîte - disons, d’un intérêt assez limité. Rien ou si peu à gagner, rien ou si peu à perdre. Rien à trouver, rien à inventer, rien à découvrir, dans la boîte. La boîte est vide, en effet. Ou ne contient rien de valeur. Rien de taille, rien d’imposant, assurément. Rien d’encombrant. Sans quoi je n’aurais pu y entrer, dans la boîte, et y loger mon corps tout entier, ventre et buste et fesses et membres postérieurs et antérieurs et tête et tronc. Il n’y a que peu d’intérêt à entrer dans la boîte mais - car il y a un mais, il y a toujours un mais, rien (ou si peu de choses, presque rien) n’admet nulle concession - quel intérêt y a-t-il à rester en dehors de la boîte ?
Tant de décisions à prendre, tant d’alternatives à étudier, tant de questions à trancher. Quotidiennement. Sur toutes sortes et mille et un sujets d’importance. On en ressort lessivé. Épuisé. Lassé. Usé. On renonce. On manque d’envie. On ne veut plus prendre position. On s’abstient, hausse les épaules. Dès lors, les choix désintéressés, inutiles, qui ne prêtent à aucune conséquence, sont, sans conteste, puisqu’on pourrait ne pas avoir à les faire, ces choix, les plus difficiles.
Je suis entré dans la boîte parce que je pouvais y entrer, dans la boîte, et parce que je pouvais ne pas y entrer, dans la boîte, parce que j’avais le choix - entrer dans la boîte ou ne pas entrer dans la boîte - et parce qu’à un moment, j’ai opté - entrer dans la boîte plutôt que de rester en dehors de la boîte - comme j’aurais tout aussi bien pu opter différemment.

vendredi 10 avril 2020

Dans la Boîte (2)

Évidemment, la boîte aurait été de bois en planches épaisses, d’un bois dur et raide - je ne parle pas d’une cagette de fines lames de peuplier souple et flexible, non, je parle de chêne ou de merisier, de bois noble et solide et robuste, de bois qui rompt mais ne plie pas - alors là, dans ce cas là, précis, je n’aurais pas été capable de la déformer, la boîte. La pression exercée par mon corps sur les parois de la boîte n’aurait pas suffi à les déformer, à les repousser, à les courber, les parois. Et il m’aurait été impossible d’y entrer, dans la boîte. D’y entrer pleinement et complètement et entièrement, fesses et tête et membres postérieurs et antérieurs et buste et ventre.
Ce qui ne signifie pas que je n’aurais pas au moins tenté d’y entrer, dans la boîte. Que je n’aurais pas essayé de forcer le passage. De m’en frayer un, un passage. J’aurais adopté des postures insensées, effectué des mouvements ridicules, je me serais soumis à des exercices d’assouplissement, j’aurais entamé et suivi à la lettre, sans le moindre écart, un régime, je me serais contorsionné, je me serais désarticulé, je me serais allongé et rompu les tendons et les ligaments, je me serais brisé les os et les cartilages, je me serais râpé la peau, déchiré les chairs, je me serais rasé les poils, me serais épilé et me serais enduit de lubrifiant, huile d’olive ou de vidange ou graisse pour chaîne de vélo ou vaseline ou gel d’aloe vera, je me serais rongé les extrémités, taillé les oreilles en pointe, limé les dents, pour y entrer, dans la boîte.

Au pire, ma tête ou l’un ou un autre de mes membres ou le rebondi gracieux de mon ventre ou de mes fesses aurait dépassé de la boîte, mais j’y serais entré, dans la boîte. Pas entier, certes. Entré tout de même - ce n’est qu’une question de point de vue.
Au pire du pire, la boîte aurait été beaucoup plus petite, dans un rapport de 1 à 1000 ou de 1 à 100 ou même seulement dans un rapport de 1 à 10 que je me serais satisfait de m’y asseoir, dans la boîte, d’y poser mon séant, d’y introduire une phalange ou deux, d’en humer et respirer l’air intérieur, j’y aurais laissé un peu de moi, dans la boîte, de ma personne, quelques poils, un peu de peau morte, quelques gouttes de salive ou de sperme ou de cyprine ou de sang ou de lymphe. De quoi permettre une identification ADN. De quoi en prouver mon occupation, de la boîte.

jeudi 9 avril 2020

Dans la Boîte (1)

Dans la Boîte

suivi de

Lettre Compte Double





Si j’entre dans la boîte - et je ne me contente pas d’émettre une hypothèse sans fondement, de théoriser pour l’amour de l’art, de brasser du vent, de pisser dans un violon, de chier dans un tromblon (à cou lisse), un hélicon, pon pon pon pon, non, j’y entre effectivement, dans la boîte - si je m’engouffre dans l’ouverture, si je me faufile à l’intérieur de la boîte, si je m’insinue, si je m’infiltre, si je m’incorpore, c’est qu’il y a de la place dans la boîte, suffisamment de place pour moi, pour y loger mon corps tout entier, le buste et le ventre et la tête et les membres antérieurs et postérieurs, mon corps certes replié sur lui-même, un peu tassé, un peu serré, comprimé, à l’étroit, contraint à des positions peu habituelles, entier tout de même.

La boîte aurait été plus petite, un peu plus petite, pas plus petite dans un rapport de 1 à 1000 ni de 1 à 10 ni même de 1 à 5, pas minuscule, la boîte, un peu plus petite, que j’y serais entré tout de même, dans la boîte. Car elle est en carton, la boîte. Déformable, donc. Légèrement déformable. Dans une certaine mesure. On ne peut le plier et le contraindre à l’envi, le carton. Le tordre en tous sens, sans limite, sans faire attention. C’est un matériau fragile, le carton. Il faut y aller mollo. Ne pas trop insister. Ne pas risquer de déchirer les bords ou le fond ou le couvercle de la boîte.

La boîte aurait été un peu - pas beaucoup - plus petite que je me serais malgré tout glissé à l’intérieur de la boîte et que la boîte, pour accueillir le volume de mon corps tout entier, le ventre et le buste et la tête et les membres postérieurs et antérieurs et les fesses, se serait déformée, légèrement déformée, raisonnablement déformée, et en aurait épousé les contours, les contours de mon corps plus à l’étroit encore.

mercredi 8 avril 2020

En Léger Différé de chez Maurice Confiné (3)

Le 2 avril dernier - soit le 17ème jour de confinement - j’ai été particulièrement productif ou j’ai particulièrement bâclé ce que j’ai fait - tout n’est qu’une question de point de vue. En effet, ce ne sont pas moins de trois petits travaux à l’huile que j’ai réalisés ou achevés cette après-midi là (ou cet après-midi là : après vérification dans le dictionnaire, il semble qu’après-midi soit transgenre - je ne veux me fâcher avec personne).
L’huile à laquelle j’ai consacré le plus temps parmi les trois est une marine, une vue d’une plage sur laquelle je n’irai probablement jamais. Une pochade réalisée en moins de deux... heures.
Ce qui m’étonne le plus, c’est que ce petit barbouillage barbouillé dont j’ai posté une photo sur Instagram est en passe d’y devenir mon œuvre ayant récolté le plus de likes, plus encore que d’autres œuvres récentes que j’estime pourtant bien plus réussies... Les gens ont vraiment des goûts de chiotte.


17ème Jour de Confinement (I)
(20 x 20 cm)

mardi 7 avril 2020

En Direct de chez Maurice Confiné (8)

Boris Johnson bientôt sous respirateur artificiel ? Le Royaume-Uni retient son souffle...


***

On entre dans la quatrième semaine d’enfermement... on ne relâche pas ses efforts... on y est presque... plus que trois ou quatre soirées à finir bourrés avant de pouvoir se déclarer alcooliques... ce serait dommage d’abandonner si près du but.


***


Malgré les apparences, mon prochain texte publié ici n’est en rien un texte de confinement.

lundi 6 avril 2020

En Léger Différé de chez Maurice Confiné (2)

Je le disais l’autre jour, j’ai un peu rangé mon bureau. J’ai à cette occasion retrouvé des brouillons non utilisés. Y compris des gribouillis. Mais même d’un gribouillis, on peut tirer quelque chose. Je pars du principe que rien de ce que je produis ne doit être inutile. Je suis donc parti samedi après-midi de ce gribouillis retrouvé, ai ajouté peu à peu des éléments autour, y compris des éléments issus d’autres gribouillis réalisés dans mon carnet... et voici le résultat. Je suis assez content de moi.
Et l’avantage du confinement, c’est qu’il fournit des titres aux œuvres sans que l’on ait besoin de se casser la tête.

Sans Autre But - 19ème jour de Confinement
(14 x 14 cm)
Gribouillis - feuille volante non datée

Gribouillis - Carnet de MLM

dimanche 5 avril 2020

En Retard (45)

Plus on a de temps disponible devant soi, plus on est en retard... c’est bien connu... c’est une sorte de corollaire à loi de Murphy (également connue sous le nom de loi de l’emmerdement maximum), à moins que ça n’en soit (c’est moche comme formulation, non ?) une espèce de réciproque ou encore, option non négligeable vu mon présent taux d’alcoolémie, que ça n’aie absolument rien à voir...
Tout ceci pour dire qu’en cette période de confinement, je devrais avoir tout le temps d’avancer sur En Retard, je devrais pouvoir m’y prendre à l’avance, ne pas me contenter d’y réfléchir comme le reste du temps (lorsque je « travaille » (notez les guillemets)), le vendredi après-midi pour le samedi et le samedi soir pour le dimanche... mais non... il est dimanche 16h00 et je commence à peine à me demander comment je vais organiser la suite des événements...
Et là, je bloque un peu... comprenez, je suis en train de me faire refaire le portrait par les CRS=SS et j’ai prévu pour la suite de déplacer le combat à l’Arc de Triomphe (souvenez-vous, dans un numéro précédent, on m’a fait revêtir un gilet jaune, l’allusion n’est pas subtile)... avant de finir la journée dans un bar qui sera la théâtre d’une gigantesque beuverie (on va s’en boire, des petits jaunes)...
Cependant, cet ensemble de péripéties va me prendre plus d’un numéro... et je ne sais où couper l’action... car je dois la couper, l’action...
En effet, il n’y aura pas de En Retard le week-end prochain. Ni le week-end d’après, possiblement... je ne sais encore... Pourquoi ? Parce que, dans les jours qui viennent, je vais vous proposer un texte (deux, à vrai dire, qui s’enchaînent et qui, d’une certaine façon, n’en forment plus qu’un) qui me tient particulièrement à cœur et qui va prendre 5 ou 7 ou 10 ou 20 numéros (je n’ai pas encore procédé au découpage) et que je refuse catégoriquement d’interrompre...

Je suis donc en plein doute, je ne sais comment poursuivre aujourd’hui...
Dans le doute, abstiens-toi, dit le proverbe... dont acte...

samedi 4 avril 2020

En Retard (44)

Je ne comprends pas cet entêtement des forces dites de l’ordre à faire usage de gaz lacrymogènes. Pourquoi toute manifestation devrait-elle finir dans les larmes et les suffocations ? Pourquoi ce besoin de dramatiser la situation, de rendre douloureuse la nécessaire débandade d’une fin de parcours ?
L’usage d’un gaz hilarant pour faire cesser un rassemblement me semblerait tellement plus approprié. Ne serait-il pas plus agréable que tout le monde se roule par terre ? D’un pouvoir tout aussi incapacitant qu’un gaz lacrymogène, un gaz hilarant aurait, de plus, le mérite de montrer que ces affrontements et cette supposée haine entre ceux qui aiment descendre dans la rue et ceux qui aiment porter l’uniforme n’est qu’une vaste blague. Il sont les deux faces d’un même Janus. Deux entités qui ne peuvent vivre l’une sans l’autre et dont l’existence est justifiée par l’existence de l’autre...

C’est à ce genre d’inepties, de pensées absurdes, que j’occupe mon esprit pour oublier que je suis en train de me faire massacrer à coups de matraque - tant qu’à me faire briser les côtes et les tibias, j’aurais préféré rester avec Ginette, elle au moins savait érotiser la souffrance - et de me faire cramer à coup de sprays et de grenades mes beaux yeux vairons... D’un bleu et vert, respectivement le gauche et le droit, magnifiques intrigants, mes yeux virent peu à peu à un commun rouge, peu avenant, dépourvu de toute sensualité. Quel intérêt les policiers des Compagnies Républicaines de Sadisme ont-ils à m’ôter ce qui fait l’essentiel de mon charme ?

vendredi 3 avril 2020

En Direct de chez Maurice Confiné (7)

Le confinement me change, modifie en partie ma façon de penser, me force à regarder certaines choses sous une perspective différente. Mais dans le fond, je reste le même.

Ainsi, le week-end dernier, en rangeant mon bureau - j’ai largement eu le temps de remettre du désordre depuis... - j’ai retrouvé un brouillon sur lequel j’avais écrit, après avoir fait une petite attaque de panique au rayon yahourts du Monoprix, le poemlm suivant :

Les courses au supermarché
Me donne envie de me suicider
Côtoyer l’humanité
Me donne envie de la suicider
06.11.19

Aujourd’hui, les courses sont vécues comme une chance, une opportunité de sortir, d’échapper quelques instants à l’enfermement. J’aime les courses en ce moment... changement...

Pour ce qui est de l’humanité, je n’ai pas changé d’avis... je reste le même...

jeudi 2 avril 2020

Un Texte de Maurice Confiné (3)

Où, ailleurs que sur les banquettes du métro, pourrais-je, pour me tenir au courant des dernières tendances, des derniers sons à la mode, coller mon oreille tout contre l’oreille d’une adolescente et saisir des bribes de ce que diffusent ses écouteurs ?
Qu’on ne se méprenne pas, je suis parfaitement conscient que ce type comportement est intrusif et on ne peut plus désagréable... personne n’aime les indiscrets, je le sais bien... il n’est rien de plus méprisable que d’écouter aux portes - fussent-elles des pavillons - on me l’a appris... n’étant pas un indélicat, j’ai mis sur pied un stratagème pour que les jeunes femmes dont j’épie la musique ne se sentent pas espionnées : pendant ma prise de son, je glisse une main sous leur jupe. Ça ne rate jamais, elles se méprennent sur mes intentions et oublient le dérangement  procuré par le chatouillement de mon lobe contre leur lobe.

Où, ailleurs que sur une banquette de métro arrêté pour régulation dans un tunnel entre deux stations, sans aucune perspective de fuite, pourrais-je accepter de m’infliger une interprétation de l’Ode à la Joie de ce bon vieux Ludwig van à l’accordéon et au violon tzigane sur fond de boite à rythme bas de gamme...
...et d’en ressortir profondément ému, totalement tourneboulé, l’estomac noué, les tympans percés, incapable de retenir mes larmes et doutant de mon envie de vivre plus longtemps - comment l’avenir pourrait-il renfermer quoi que ce soit d’aussi fort que ces trois minutes avec les Filles de l’Élysée ?

Où, ailleurs que sur la banquette du dernier métro, aurais-je la patience d’attendre qu’un vieux poivrot ait fini de vomir pour entendre la suite de son couplet raciste et sexiste ?

Le métro est le repaire des véritables artistes. De ceux qui n’ont que faire du bon goût bourgeois et ne se soucient pas des études de marché. Qui se sacrifient à leur art et refusent de rentrer dans le cadre imposé par la télévision et dans le format radio.
Le musicien du métro ne s’achète pas les instruments les plus chers. Il privilégie les instruments les moins populaires, usés de préférence, les instruments qui sonnent mal, ceux qui sont grincent et sifflent, ceux qui blessent l’oreille. Le vrai musicien sait que de la contrainte naît le plus pur des arts.
Le chanteur de métro sait bien que, pour construire une belle chanson, seules la fluidité, le rime et poésie comptent. Tout le reste n’est que secondaire. J’ai tellement d’exemples en tête qu’un seul suffira. Une image vaut mille mots comme disait l’autre - mais ça n’a pas grand chose à voir.
Je me souviens comme d’une révélation de cette femme entre deux âges trainant de wagon en wagon une enceinte fatiguée sur un diable brinquebalant. Sur une bande instrumentale méconnaissable, elle s’évertuait à redonner du sens et du son aux chansons les plus fades du répertoire français : les chansons play-backées par des Michel.
Les Michel (Fugain, Delpech, Jonasz... complétez vous même la liste) sont la lie de la chanson française, il n’en est pas un pour rattraper l’autre. Il devrait être interdit de faire carrière de chanteur en s’appelant Michel - le prénom est heureusement passé de mode, l’avenir musical s’annonce un peu plus radieux. Quand vint le tour de Michel Dassin (le pire de la bande) je m’attendais à tout, y compris au meilleur. Et ce fut sublime. 
Dire qu’il suffisait de modifier quelques syllabes, deux trois seulement, pour que la beauté naisse du néant : et si tout n’existât pas, dis moi porquoi j’existéras. Admirez la création de la rime interne, à l’hémistiche, au prix (fort raisonnable) d’une (très pardonnable) faute de conjugaison. Admirez ce recours inattendu (et, certes, incorrect) à l’imparfait du subjonctif pour construire une très belle assonance en a. Admirez ce pourquoi subtilement transformé en porquoi pour éviter qu’une assonance en ou ne vienne gâcher celle en a. Admirez enfin ce tu banal chez le fils de Jules qui devient ici un tout universel... ou comment d’une bluette mièvre faire une déchirante interrogation métaphysique.
Quel directeur artistique de maison de disques aurait accepté tant de risques syntaxiques ? L’art officiel n’admet que la tiédeur...



Et quand les musiciens du métro finissent leur petit concert et font le tour des usagers, un gobelet en plastique ou une boite de conserve rouillée à la main, c’est avec un véritable pincement au cœur que je refuse de leur donner les pièces et billets que j’ai en poche : hors de question de faire d’eux des vendus. Leur talent vaut bien plus que de l’argent.




Versailles, fin mars - début avril 2020,
deuxième et troisième semaines de confinement

mercredi 1 avril 2020

Un Texte de Maurice Confiné (2)

Pas moi. Non, je ne suis pas de ces salvadoristes acharnés du boulot qui ne font pas de vieux os et prennent le métro mais oublient de le rendre.
Si je prends le métro, si je me laisse, à mes risques et périls, prendre par le métro, si je paye chaque mois l’abonnement (par prélèvement) me garantissant un accès quasi illimité (le métro est fermé entre 2h et 5h du matin) aux souterrains de velours, ce n’est pas pour aller travailler (je le fais très bien (et le moins possible) de chez moi, travailler, confortablement assis à mon bureau... pourquoi un tel mensonge ? dans quel but ? enjoliver ma condition d’artiste raté ?... ma position à mon bureau n’a, en réalité, rien de confortable... je n’en possède pas de fauteuil, de bureau... seulement une vieille chaise pliante en bois dur... l’écriture de ce court texte m’aura valu une crise hémorroïdaire et des escarres aux fessiers), c’est certes parfois pour dormir (les secousses du métro me bercent et me livrent pieds et poings fermés au sommeil plus prestement qu’un épisode de série télévisée policière germanique), c’est surtout et essentiellement pour la musique.

Je suis un fou de musique. J’en écoute tout le temps. Au casque, à me rendre sourd. Sur la chaîne hi-fi, volume sonore poussé au maximum. En CD. En vinyle. En mp3. En K7 - non, je plaisante, pas en K7, je ne vis pas en 1979. Seul. Accompagné - parfois bien mal. En concert. Du rock. Du jazz. Du classique. De l’électro. De la soul. De la soupe. Du blues. Du reggae. Du folk. De la pop. Des variétés. Je suis insatiable. Boulimique.
Je suis constamment à la recherche de nouveaux sons, de nouvelles voix, de nouvelles voies. J’aime être surpris. Étonné. Pris au dépourvu. Déstabilisé. J’hante les médiathèques et les disquaires, je cours les soirées live des pubs, j’écume les clubs et les boîtes, je flâne sur YouTube et Deezer et Spotify, j’allume le matin la radio (fréquence : 105.1) avant même d’ouvrir les yeux...
Il n’est cependant de meilleur endroit au monde que le métro, ses couloirs et ses wagons, pour étancher ma soif de découverte musicale.

L’univers métropolitain est, de mon très pertinent point de vue, un univers entièrement dédié au son et, par conséquent, à la musique. Biologiquement, physiquement, physiologiquement, psychiquement consacré au son et, par conséquent, à la musique. De très sérieuses études menées par de très sérieux et rigoureux et respectés et éminents scientifiques ont en effet montré qu’un homme privé d’un ou de plusieurs sens, compense cette, si j’ose dire, infirmité en aiguisant ses autres sens, qui se trouvent donc renforcés. Or, l’odeur d’urine qui règne dans le monde souterrain me force à me boucher les narines et me coupe l’appétit tandis que toucher quoi que ce soit pourrait me valoir une infection et un séjour à l’hôpital - où règne un silence peu exaltant. Quant aux usagers du métro, ils n’aiment guère être observés, reluqués, scrutés, dévisagés...
Ne me reste que l’ouïe, le seul de mes sens libre de s’épanouir, qui peut alors donner sa pleine mesure (6/4). Pour le mélomane que je suis, le métro s’apparente à un inépuisable terrain de chasse jeu...